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06/01/2013

PRIX-FAIT pour la construction du maître-autel de Rognaix 24 août 1698

 

24 août 1698– Prix-fait pour la construction du maître-autel de l'église. Claude Marin et Jacques Clérant, tous deux sculpteurs sur bois parmi les meilleurs de la période baroque, sont chargés de la réalisation du retable. En paiement, ils recevront 2000 florins de Savoie ainsi que divers avantages en nature. Le bois sera fourni par les communiers. Le maître-autel que l'on voit actuellement est une réinterprétation du retable d'origine, il y manque la polychromie et plusieurs statues ont été remplacées. 
Les deux autels latéraux présents dans la nef sont du XIXème siècle : l'un est dédié au Rosaire, l'autre à saint Martin.

 

 

 

Source : Généawiki

 

 

L’an mil six cents nonante huict et le vingt quattriesme jour du mois d’aoust se sont presentés par devant moy n(re) ducal royal soubz(ne) et presents les tesmoings cy aprpres nommés M(e) Martin Marbel, honneste yppolite a feu Jean Collombier, et honneste pierre à feu Jean françois Morardet chastellain scindicg et procureur de la paroisse de Rougnaix, lesquels de leurs bons grés et tant a leurs noms que au nom de tous les communiers du dict lieu de Rougnaix d’icy absents, lesquels ils promettent faire advouer le présent en estant requis a peyne de tous damps, et ensuitte de la procure passée par les dicts communiers au dict pierre Morardet le seziesme du présent mois reçue et signé par M(e) Ulliel n(re) ducal de Moustier, donnent et ballient en tache et pris faict a maistre Claude a feu Claude Anthoine Marin natif de flumet, et a maistre Jacque Clairant natif de Chambéry habitant de présent tous deux Conflans cy présents et acceptants pour eux et les leurs, a scavoir de faire a leurs propres fraicts et despens le retable du maistre hautel de lesglise du dict rougnaix conformément au desseien par eux faict et signé par Monseigneur larchevesque de tharantaize, lequel retable rempliraz tout le cœur dicte esglise et suivraz le plan qui est désigné au bas du dict dessain et dans lequel il y auraz quattre colonnes torses, scavoir deux a branches de vigne et les auttres deux a branches de laurier a jour et a suivre l’ordre composite, de plus dans la perspective qui est en place du tableau il y auraz la saincte Trinité en reliefs accompagné de six testes de cherubins sur des nuages et au pied du crucufix il y auraz quattre statues en perspective, scavoir sainct Jean, la Vierge, sainct Martin et sainct Clement en gros relief et dans les niches ils y mettront sainct Anthoine de padoue et sainct Joseph tousiours en gros relief comme dessus, le petit siboire conformément au dict dessain a fond d’or et au couronnement il y auraz une Assomption en relief accompagné de quattre anges aussi en relief deux desquels porteront une couronne a la sime du dict rétable et acosté du dict couronnement il y auraz deux statues en reliefs, sçavoir sainct Jean baptiste et sainct françois de Salles accompagné de quattre vase a fleur et fruict et garniront tous les vuides et perspectives en colleur dazur et parsemé destoille en or et argent. et pour les reliefs de la corniches de chesque membre en particullier seront doré et larchitrave de mesure et les statues quand aux draperie seront aussy doré et les revers glacés et le reste des figures seront coulouré sellon leur ordre, avec un bord d’or et les nudittés en carnassion tant teste de cherubins qu’auttres, les branches des collonnes et feullies seront dorés et les fruicts et les fleurs au naturels, le fond du dict retable seraz dazur et celluy des collonnes seraz de colleur de coral, et des l’autel en bas il ny auraz point d’or sinon les moullures qui seront pinte en colleur d’or, et pour tout le reste se feraz conformément au dit dessain, et pour ce faire les dicts maistres Marin et Clairant seront tenus fournir lor largent colleur colle et autres choses qui leur seraz nécessaire pour faire le dict travail, lequel ils promettent par foy et serment par eux prestés, et a lobligation de leurs personnes et de tous et un chescungs leurs biens présents et advenir qu’ils se constituent respectivement tenir l’ung pour l’auttre chescung pour le tout soubs la clause sollidaire et de constitut icelluy rendre faict et parachevé daujourdhuy en quatre années prochains venants a peyne de tous depens dommages et intherest, Et ce ont faiet les dicts maistres sculteurs pour et moyennant le pris et somme de deux mille florins monoye de Savoie deux questes et deux charges de bois chesque feu, laquelle somme les dicts chastellain Scindicg et procureur es qualité qu’ils agissent promettent aussy par foy et serment par eux prestés , et a l’obligation de tous et un chescungs leurs et de la dicte communautté biens présents et advenir qu’ils se constituent respectivement tenir l’ung pour l’auttre comme dessus, et soubs la mesme clause sollidaire que dessus payer aux dicts maistres Marin et Clairant, scavoir cingt cent florins le tier du travail estant faict, auttres cinqt cents florins le dict retable estant posé dans la dicte esglise avec touttes les statues, auttres cinqt cents florins au temps qu’il faudraz achepter lor et largent, et le restant de la dicte somme quest cinqt cent florins ayant parachevé le dict prisfaict a peigne que dessus, et soubs les conditions suivantes, sçavoir que les dicts commugniers seront tenus fournir tout le bois, aix plattons et clauz que sera requis et necassaires pour faire le dict travail avec deux chambres faisant feu pour habitter pendant qu’ils feront le dict rétable, lequel estant faict serat visitté par experts avant qu’ils puissent retirer le dict dernier terme de cinqt cents florins, et ne se serviront pour la dorure que de l’or fin de ducat de Lion, comme aussy les colleurs des plus fine qu’ils pourront trouver, le tout ainsy convenu et arresté entre les parties a peyne respective de tous despens dommages et intherest, soubs et avec touttes auttres leurs promissions serment presté pour l’entiere observation du présent obligation que dessus soulmis a touttes cours renonciations a tous droicts et loix a ce contraire et clauses a ce de droict requises et actes respectifs requis par les parties que je leur ay accordé tous deux aux despens des dicts commugniers dont le présent est en faveur des dicts prisfacteurs et des leurs, faict et prononcé au dict Rougnaix dans la cure en présence du reverend père Athanase capucin de famillie au couvent de Conflans, de reverend Messire Pierre François Pignard preste et curé du dict Rougnaix, de reverend Messire Pierre deleans preste et vicaire de Saint Paul, et de Nicollas a feu François Revil de la paroisse de Pussy tesmoingts a ce requis bien que d’auttre main soit escript estant signé sur la minutte le dict sieur Pignard cure du dict Rougniex le sieur delleans prestre Marbel compromettant et le dict M(e) Marin et non les auttres pour ne savoir de ce enquis. Et moy Jacques Regal notaire ducal royal de Cevin soubsigné ea ce dessus recevoir requis….me suis signé.

 

                                                                                              REGAL notaire

 

Retranscrit et certifié conforme à l’original conservé aux archives de la cure de Rognaix par PERONNIER, vicaire général.

 

Réécrit par Philippe MICHEL le 5 janvier 2013 pour mettre en ligne

04/01/2013

ROGNAIX et Vallée de l'Isère(date début 20ème siècle)

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ROGNAIX

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Interieur du village (date début 20ème siècle)

 

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Formidable!!

Grace aux concours de Madame Ginette DUCROZ de la Ville, qui m'a donné à photographier le verso, et   

à sa grand-mère qui a écrit, nous avons les noms des personnes présentes sur la photo;

de gauche à droite, Joseph MERCIER, François PIVIER, Marie TETAZ, Marie MERCIER, Marie POUX (soeur Léon POUX), Couple Ferdinand BOZON et son épouse, en haut des escaliers à gauche, Hortense BOZON avec la coiffe et à droite, Louise CRETET, assise à gauche Ernestine CRETET et à droite Azélie CRETET

01 Don de Robert COLLIARD

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Photo MICHEL Philippe le 30/10/2013

 

C'est au début 2008 que l'académie de la Val d'Isère a recueilli ce fond à la demande de M. Robert Colliard.

Né à Rognaix en 1930, aîné d'une fratrie de 4 enfants, Robert Colliard est très tôt orphelin de père.

Après les classes primaires, il poursuit ses études jusqu'au baccalauréat au collège St Paul. Il a toujours été soucieux de l'histoire familiale comme de l'histoire de son village. Il a d'ailleurs publié deux recueils : l'un en 2006, plutôt destiné à sa famille et à ses amis, intitulé : « Voyage à travers le temps : à la montagnette » puis un second en septembre 2008 destiné à tous les villageois et plus largement à tous ceux qui connaissent Rognaix et intitulé : « Sentiers et chemins de notre montagne ».

Enfant, il avait découvert tous ces vieux papiers, enfouis dans un coffre, dans une des chambres de la maison familiale. Sans doute curieux, comme tous les gosses, il avait fouillé sous de vieilles pelotes de lin enroulées sur des bovattes de maïs (pour les non savoyards : des épis de maïs) et avait ainsi découvert « son trésor ». Et en effet la maison familiale pouvait bien receler « des trésors » puisque sa construction date, semble-t-il, de 1642. A l'occasion de travaux la fameuse malle avait ensuite été entreposée dans une grange, avant qu'il ne la récupère il y a 5 ou 6 ans.

Un après-midi d'hiver, notre présidente Lucienne Guillerme et moi-même nous sommes donc rendues au domicile de M. Colliard afin de récupérer les documents concernés. Je me suis engagée à voir de quelle manière je pourrai par la suite exploiter ce fonds.

Il fut entendu, à la fois avec Robert Colliard et avec Lucienne Guillerme, que je resterai un temps dépositaire de ces archives afin de pouvoir travailler plus aisément à leur tri et à leur exploitation.

Et le tri ne fut pas une mince affaire ! Des documents avaient déjà été lus et pouvaient être manipulés facilement. Pour d'autres, ils étaient en vrac, parfois roulés en boule au milieu de la poussière et des excréments de souris. Il a donc fallu travailler sans crainte des salissures, déplier un à un chaque document et choisir de le conserver ou non. Certains avaient servi à alimenter une famille de souris victimes de disette et il n'en restait pas grand-chose, d'autres leur avaient servi de toilettes et l'urine des charmantes bestioles avait totalement dégradé l'encre rendant vaine toute tentative de lecture. J'ai hélas dû détruire au moins une vingtaine de documents beaucoup trop détériorés. Pour les autres, je les ai sommairement dépoussiérés, dépliés et pressés sous un poids afin de leur rendre un aspect « présentable ». Puis j'ai choisi de les classer chronologiquement.

Le document le plus ancien date de 1643 ; pour l'ensemble du 17e siècle il y en a 31. Pour le 18e siècle, il y a 51 documents, pour le 19e : 128 et enfin pour le 20e seulement 6. Ce qui fait un total pour l'ensemble du fonds de 214 documents. A cela il me faudra ajouter une vingtaine de documents que Robert Colliard m'a remis il y a seulement deux jours et que je n'ai pas eu le temps de regarder de plus près.

Tous les documents du fonds sont en français, cependant l'interprétation de ceux concernant le 17ième est plus difficile du fait de l'écriture paléographique. Le langage administratif comme certains mots du vocabulaire de l'époque peuvent également poser quelques problèmes.

La majeure partie du fonds est composée d'actes notariés : testaments, actes d'acquisition de biens, baux, contrats dotaux, actes d'émancipation. Il y a aussi tout ce qui est lié à l'argent : emprunts, remboursements de créances, constats de dettes, etc...

A noter qu'aucun document du 17ième ne mentionne le patronyme « Colliard », mais essentiellement celui de Bozon, de « Regal » et de « Larden ». Ce n'est qu'en 1712 qu' apparaît un contrat dotal dans lequel l'époux est un certain Jean Colliard. Il y a quelques délibérations municipales, quelques extraits de procédures judiciaires, quelques documents de l'administration des bois et forêts, un document militaire (un certificat de dispense définitive du service militaire).

Il y a 9 correspondances privées ( toutes du 19e) : l'une d'un Colliard, soldat sous l'Empire, 7 autres, de membres de la famille, liées à l'émigration à Paris et la lettre d'un voisin également émigré à Paris.

Deux documents de 1888 témoignent à la fois de l'opportunisme commercial de l'époque et nous dirions aujourd'hui « des techniques marketing » du moment. Ils ont trait aux élections municipales de 1888. Une entreprise privée mais dont le nom peut prêter à confusion : « Le mémorial électoral » propose aux nouveaux élus une sorte de « diplôme » à leur nom. Ils le reçoivent directement par la poste, sans aucune demande de leur part. Ce n'est que quelques jours plus tard, qu'ils reçoivent une quittance de 2 F qu'il leur appartient de régler. Il est précisé cependant : « en cas de refus, vous n'aurez qu'à rendre au facteur notre envoi ».

Enfin parmi les documents du 19e siècle, il y a un carnet et une sorte de gros cahier relié. Ces deux documents ont particulièrement retenu l'attention de Robert Colliard qui nous en a signalé l'importance à ses yeux pour une meilleure connaissance d'un de ces ancêtres : Jean Martin Colliard, paysan et garde forestier à Rognaix.

Après le travail de tri, de remise en forme et d'analyse sommaire de tous les documents, restait à savoir comment valoriser ce fonds d'archives. Très vite, j'ai constaté qu' environ la moitié des documents pouvait être rattachés à une même personne, le fameux Jean Martin Colliard qui a vécu de 1787 à 1849. Pourquoi ne pas essayer de retracer la vie de cet homme, né et mort savoyard mais qui, entre temps, fut aussi français durant environ 23 ans, de 1792 à 1815.

Par ailleurs depuis plusieurs années j'avais déjà effectué quelques recherches sur l'histoire de Rognaix tant aux archives départementales de la Savoie qu'aux archives diocésaines de Moûtiers.

Pourquoi ne pas rapprocher l'histoire d'un homme avec l'histoire de son village, et mener ainsi un travail de sensibilisation à leurs racines auprès des rognairains d'aujourd'hui. La petite histoire locale remise dans le contexte général de l'époque peut aussi être un excellent rappel de l'histoire avec un « H » un peu plus grand...

Je vous rappelle que Rognaix est une commune de Basse Tarentaise faisant partie du canton d'Albertville-Sud. Située en rive gauche de l'Isère, elle a une superficie de 898 ha. Jusqu'aux années 1990, sa population n'avait jamais dépassé les 300 habitants mais en presque deux décennies la voilà passée, actuellement, à 430 habitants.

Elle a des confins avec la Maurienne, (commune de Montsapey) par la crête qui part du Jonc (2106m) à proximité du Grand Arc, et arrive au col de Basmont (1791m). En vallée de Tarentaise elle a des confins avec La Léchère (ancienne commune de Pussy) par une limite qui traverse la forêt en suivant des sentiers, ravins et escarpements variés pour arriver dans la plaine de l'Isère qui délimite approximativement la commune avec Feissons-sur-Isère et Cevins. Elle est également limitrophe de St Paul sur Isère.

Ce petit village existe depuis bien longtemps même si, comme le disait l' abbé Delphin Gaide dans un document de 1897 : « La date de l'érection de la paroisse de Rognaix se perd dans la nuit d'une antiquité reculée. L'oubli, si grand receleur de choses humaines passées, garde seul dans son coffret le secret mystérieux de cette date. » Une certitude cependant, la paroisse de Rognaix est mentionnée dans l’acte de partage rédigé par l’archevêque Pierre II de Tarentaise en 1170.

Pour le reste, il semble bien qu'il n'y ait jamais eu à Rognaix ni château ni maison-forte. Aucune famille noble ne s'est jamais installée sur place cependant certaines d'entre elles y ont eu des fiefs.

Les seules ressources de la population villageoise, durant des siècles, provinrent de l'élevage, d'un peu d'agriculture et de la forêt.

A priori, donc, rien qui n'ait un intérêt historique majeur. Pour autant, faut-il se désintéresser du lieu et priver ses habitants d'une meilleure connaissance de la vie de leurs ancêtres ? Pour moi, vous vous en doutez, la réponse est non et l'exploitation du fonds d'archives Colliard est l'occasion de mettre en lumière ce que fut la vie d'un homme ordinaire et d'un village sans histoire de 1787 à 1849.

Jean Martin Colliard, une vie à Rognaix.

En premier lieu, j'ai d'abord cherché à situer Jean Martin dans son contexte familial. Les documents du fonds Colliard donnaient certaines indications qu'il était nécessaire de préciser. Une descendante de Jean Martin m'a aimablement communiqué ses propres recherches que je n'ai eu qu'à compléter.

Pour cela j'ai travaillé exclusivement à partir du site internet des ADS : l'accès en ligne aux documents paroissiaux et d' état-civil est très pratique. Je dois aussi remercier Yvette Fraissard, membre de cette académie qui m'a aidé pour une autre partie de la descendance de notre personnage.

Dans les documents en ma possession, aucun n'a trait véritablement à l'enfance de Jean Martin. On ne peut qu'en deviner les contours à travers les évènements de la vie de ses parents et ce que l'on sait de la vie à Rognaix à ce moment là. Il est le premier garçon de la famille mais il a une soeur de deux ans son aînée. Si aujourd'hui le rang de naissance au sein de la famille n'a que peu d'importance, il n'en est pas de même à l'époque surtout pour les garçons. L'aîné des garçons a l'assurance, si tout va bien, de succéder à son père sur l'exploitation familiale et de pouvoir fonder une famille ; pour les suivants, hélas, beaucoup devront se contenter de rester « vieux garçons » faute de moyens suffisants pour entretenir un foyer.

Jean Martin n'a que 5 ans quand arrive la Révolution. Rognaix compte alors « deux cent trois vingt et treize âmes » soit 273 habitants pour 38 familles. L'enfant n'est sans doute pas conscient des bouleversements et des difficultés que vont traverser les adultes. L'école, qu'avait fondée en 1786 le curé Favre, ferme. Qui va lui enseigner des rudiments de lecture et d'écriture ? Est-ce son père ou bien son oncle ? Et eux-même, qui les a instruits ? Sur les documents concernant son père Martin alors qu'il est encore jeune, il est dit illettré et incapable de signer ; cependant à partir de 1788, il n'appose plus sa marque sur les documents mais sa signature. En 1807, la famille Colliard reçoit une lettre de Claude, l'oncle de Jean Martin. Il est alors caporal dans l'armée napoléonienne d' Outre- Rhin. Le document est intéressant à plus d'un titre. Bien sûr son contenu donne une idée des conditions de vie de ces soldats savoyards loin de chez eux mais surtout il montre de façon concrète que même dans les petits villages et dans une famille plutôt démunie, on parle et on comprend le français. Les connaissances grammaticales et l'orthographe sont sommaires, l'écriture est quasi phonétique mais cependant la communication est possible.

Voici la teneur de la missive : (orthographe améliorée)

A Kal, le 16 juillet 1806

Mon cher, mon très cher frère,

Je vous écris la présente pour vous donner de mes nouvelles de l'état de ma santé vous dire mon cher frère que je me porte bien, pour le présent je vous en souhaite de même que je vous en souhaite la continuation. Je vous demande mon frère que vous me faites l'amitié de m'envoyer d'un Louis ou cinquante francs par le présent courrier. Je suis donc forcé, je n'osais vous le dire, voilà depuis que je suis parti de Strasbourg que je n'ai pas eu de l'argent, je suis très mal habillé. Comme vous savez que j'ai laissé beaucoup de ? à Chambéry croyant de retourner mais comme nous n'avons point d'espoir de rentrer en France de longtemps, l'on murmure tous les jours que nous irons dans la ? ainsi nous sommes pas près d'être payé parce qu'on ne paye aucune troupe dans un pays étranger ainsi je vous prie de point m'oublier. Je vous l'avais marqué sur un petit billet que j'avais mis dans la lettre du nommé Varçin de Blay que l'on touchait pas l'argent mais présentement on le reçoit parce que l'on a établi une poste à (Darmecheta ?) qui est à 10 km de Kal , c'est là ou le facteur va chercher toutes les lettres du bataillon. Rien d'autre cher (frère) à vous dire pour le présent que nous somme toujours nourri chez le paysan et l'on nous blanchi mais très mal et nourri de même. Vous ferez bien des compliments à tous mes parents, à tous ceux qui demandent de mes nouvelles. Je suis toujours avec Varçin et Deschamp, ils se portent tous bien, vous ferez bien des compliments à leurs parents de ma part et de la leur. N'oubliez pas ma chère mère, et l'embrassez pour moi, de me marquer si elle se porte bien.

Monsieur Colliard, caporal à la 2ième division du détachement du 26ième régiment d'infanterie légère ; 1er bataillon, 2ième brigade de la division du maréchal. Armée d' Outre-Rhin à Darmechetat en cantonnement à Kal, Je suis pour la vie votre frère : Colliard Claude, Caporal. L'armée d'Outre-Rhin prépare alors la campagne de Prusse et de Pologne. (Darmechetat = Darmstadt ; Kal = Kahl am Main)

L'année suivante, un autre document nous donne une idée plus précise de l'aspect physique de Jean Martin. C'est le certificat de dispense définitive de service militaire établi à Moûtiers. On y lit que Jean Martin mesure 1 m 66, qu'il a les cheveux roux, les sourcils châtains, les yeux gris roux, un front étroit, un nez régulier, une petite bouche, un menton rond et enfin un visage ovale. Le motif de la dispense est, je cite : « reconnu inapte au service militaire pour avoir une faible complexion ».

Ce même document permet de constater la pauvreté de la famille puisqu'il y est mentionné : « le sieur Colliard Jean Martin ayant justifié qu'il ne paye pas 50 F de contributions par lui-même ou par ses père et mère, n'a été soumis à payer aucune indemnité ». La dispense est définitivement enregistrée à la sous-préfecture de Moûtiers le 1er mai 1809, soit il y a exactement deux siècles.

A partir de ce moment là, les documents concernant Jean Martin vont se multiplier et l'on va trouver d'abord un premier petit carnet de fabrication artisanale, les feuilles en ont été reliées par une simple couture avec une fine ficelle.

Les premières pages du carnet sont des copies de chansons, il y en a 8 dont trois traitant de l'actualité du moment. L'une d'elle raconte une partie de cartes entre deux frères : Napoléon et François (entendez par là, l'empereur d'Autriche). La partie se termine évidemment par la victoire de Napoléon qui conclut :

« Vous avez perdu, je vous jure, Voilà mon jeu, soyez témoin, J'ai trois atouts, je vous assure, Vous perdez le cinquième point. La partie enfin je vous gagne, Du sort je suis le favori, En triomphant de l'Allemagne, Le triomphe est mon jeu chéri. »

Et sous cette copie, Jean Martin a inscrit « Napoléon par la grâce de Dieu et de la République Française. »

La seconde chanson « engagée » parle de la prise de Vienne par les soldats français, voici les

couplets 3, 4 et 5.

3) « A Noël, et sans façon, sans que rien ne nous gêne, avec du bon saucisson, nous ferons le réveillon, à Vienne, à Vienne....

4) Au nouvel an, sans François, nous aurons bonnes étrennes. A présent comme autrefois, nos guerriers seront les rois, à Vienne, à Vienne...

5) Tout en mangeant de l'aloyau, Napoléon sans gêne veut avant d'aller sur l'eau tirer sa part du gâteau, à Vienne, à Vienne... ». La dernière chanson parle d'un soldat démobilisé racontant sa joie du retour chez ses parents.

La copie de ces chants semble indiquer que le jeune Jean Martin, comme son frère et comme son cousin du même âge qui ont eux aussi annoté le carnet, a une admiration certaine pour Napoléon.

Le reste du carnet paraît avoir eu deux fonctions : d'une part s'entraîner à l'écriture et donc recopier des tournures de phrases ou des lettres types et d'autre part une petite partie « livre de comptes ».

L'autre pièce importante du fonds Colliard est une sorte de gros cahier, lui aussi relié assez grossièrement. Sa couverture est un vieux parchemin doublé d'autres vieux papiers. La page de garde porte la mention « Livre de comptes pour 1810 fait pour moi, Colliard, fils de Colliard Martin, laboureur et domicilié de la commune de Rognaix. Je prie à tous ceux qui le trouverait de me le rendre, à moi Colliard Jean Martin ».

Mais comme le carnet, il garde aussi une fonction d'entraînement à l'écriture avec également des copies de lettres types (y compris de lettres d'amour...). On y trouve notamment la copie d'une lettre qui semble circuler dans la vallée (je l'ai déjà vue dans une famille de Pussy) et intitulée « lettre pour te conseiller à te marier » où bien sûr l'auteur vante les vertus du mariage : « Rien n'est plus heureux que de passer ses jours avec une épouse qui nous a fait don d'elle-même, et qui est disposée à remplir tous les devoirs attachés aux noeuds qu'elle a formés. » C'est son cousin Jean qui a recopié la lettre et appose sa signature au bas.

Il y a également des exercices de calcul.

On y trouve encore la copie d'une convention qu'il a passée avec un maçon de la commune voisine pour la construction d'un grenier. Les modalités de cette construction sont bien détaillées, il n'est pas courant que parviennent jusqu'à nous autant de renseignements sur un modeste patrimoine de village. Enfin, il fait parfois référence à ses tâches quotidiennes et l'on voit qu'à son travail de paysan et à sa fonction de garde forestier s'ajoute celle de charpentier menuisier. En fait, suivant les commandes, il fournit aussi bien des pièces de charpentes, du plancher, des fenêtres, des meubles mais aussi tout objet en bois de la vie courante : seilles, cornues, socons, etc...

Ce cahier correspond à une période de plusieurs années, au moins une dizaine. Des feuillets sont restés vierges tandis que d'autres ont été utilisés beaucoup plus tardivement à la fin du 19ième, par un de ses descendants.

Parmi les autres documents du fonds, il y a une lettre de Jean Martin. En 1813, alors qu'il tente sa chance à Paris, il écrit à son oncle resté à Rognaix. On y devine sa déception et son mal du pays, toutes ses économies lui ont été volées, ce qui l'a rendu malade. Il est mal payé. Sachant que ses parents vivent sous le même toit que son oncle, il termine ainsi sa missive: « Je finis en vous embrassant du plus profond de mon coeur, père et mère de mérite et mon oncle et père de coeur, je suis avec honneur votre neveu pour la vie. »

Il se marie en 1815 avec une fille du pays, c'est d'ailleurs à ce moment là que sur proposition du conseil de Rognaix, il est nommé garde forestier par l'intendant de Tarentaise.

En 1817, année particulièrement difficile sur le plan économique et où l'on voit réapparaître le spectre de la disette, son frère Joseph émigre à Paris. Mais pour ces jeunes gens qui jusqu'en 1815 avaient sans doute le sentiment d'être français, voilà que Paris c'est l'étranger. Joseph ne va pas y faire fortune mais plutôt risquer de s'y perdre. Il se met à jouer et poussé par le besoin il vole le patron chez qui il est domestique.

Trois lettres témoignent de cet épisode malheureux. L'une écrite par un rognairain émigré qui prévient la famille en décembre 1823 puis deux autres en août 1824 : l'une de Joseph lui-même et l'autre du cousin Jean Tétaz que j'ai déjà évoqué. Grâce à une très forte solidarité familiale permettant de rembourser ses dettes, Joseph évitera les galères, mais de justesse, ainsi que l'indique son cousin dans sa lettre: « je vous assure qu'il y a bien des gens de nos pays qui ne croyaient pas que je puisse le sauver »...

Jean Martin Colliard et son épouse vont avoir 11 enfants dont 5 mourront en bas âge. A 46 ans, atteint par des problèmes de santé et notamment une surdité sévère, Jean Martin est contraint d'abandonner son poste de garde forestier.

Il meurt le 3 février 1849, il a 62 ans. La plus jeune de ses filles n'a que 11 ans. Sa veuve, Marie Louise, lui survivra durant 15 ans.

Je ne vais pas ce soir vous en « raconter » plus sur Jean Martin. Ce que je viens de vous en dire était avant tout une façon de vous présenter concrètement l'intérêt de certains documents du fonds Colliard. La saga de cette famille pourrait sans doute être poursuivie puisque actuellement un cousin de Robert Colliard possède un complément de ce fonds avec des documents à partir des années 1840.

Je voudrais également insister sur l'importance du croisement des données avec celles venant des différents autres services d'archives : départementales, diocésaines ou communales. La connaissance des principaux faits historiques de la période concernée permet aussi de donner du relief à des évènements familiaux semblant parfois anecdotiques. Abordé de cette façon, le départ de Joseph Colliard à Paris en 1817 et les péripéties qui s'en suivent, illustrent bien le contexte économique et sociologique des premières années de la restauration sarde.

Je ne vais pas épiloguer trop longtemps, mais on pourrait s'attarder sur les différentes monnaies ou unités de mesure que l'on relève au fur et à mesure de l'examen des documents et qui témoignent des bouleversements et des efforts d'adaptation dont ont dû faire preuve les populations locales. L'étude du fonds Colliard montre encore le fonctionnement et la hiérarchisation du groupe familial et par groupe familial j'entends aussi bien la famille au sens restreint : « père, mère, enfants », mais aussi au sens large : grands-parents, oncles, neveux, cousins...

Après cela, si vous avez envie d'entendre toute la « véritable histoire de la vie de Jean Martin Colliard à Rognaix », je vous invite à la conférence que je donne ce vendredi 15 mai à 18 h à la salle

polyvalente de Rognaix.

 

Evelyne BLANC Mai 2009.

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Photos MICHEL Philippe le 30/10/2013

03/01/2013

Une vie à ROGNAIX

JEAN MARTIN COLLIARD

1787-1849

UNE VIE À ROGNAIX 

Nous allons commencer cet exposé par l'évocation d'un événement plutôt sympathique : un mariage. Celui d'un Rognairain : Martin Colliard avec Étiennette Tétaz, Saint-Paulaine, du Villard.

Ce mariage a lieu le 6 novembre 1783, à Rognaix. La cérémonie se déroule simplement, à l'église. Nous sommes avant la Révolution, la tenue des registres d’état-civil ne relève pas d’un officier public-le maire- mais du curé. Il en sera ainsi jusqu’en 1860. Naissances, mariages et décès ne laissaient traces que dans les registres paroissiaux.

Mais revenons à notre mariage. Le marié est âgé de 21 ans, la mariée de 29 ans, tous deux sont illettrés. Une semaine auparavant, le jour de la Toussaint, en début d'après-midi, on s'est réuni au Villard, dans la maison natale d' Étiennette, pour rédiger le contrat dotal de la future mariée. Elle apporte une dot de 300 livres de Savoie ; selon l’usage cela doit « aider le mari » à supporter plus facilement la charge du mariage. On donne immédiatement 100 livres au jeune homme, pour le reste, il devra attendre. Attendre longtemps peut-être, puisqu'il n'est pas rare que le solde de la dot ne soit versé qu'au moment de la succession suivant le décès du père de la mariée. En attendant, chaque année, Martin percevra les intérêts de cette dot, au taux de 4 % l'an, soit 8 livres. Étiennette a également un trousseau d'une valeur de 80 livres. Martin apporte à sa future épouse une somme de 190 livres que l'on appelle l'augment de la dot. C'est la coutume. Cet augment représente généralement la moitié des apports de la future : ici 300 livres de dot, plus le trousseau d’une valeur de 80 livres, soit 380 livres dont la moitié est bien : 190 livres. Vous l'avez compris, la monnaie en cours est la livre du Piémont. (1 livre = 20 sols ; 1 sol = 12 deniers).

Martin est l'aîné d'une fratrie de 6 enfants (4 garçons, 2 filles). Son père, Eusèbe, est mort quelques mois avant le mariage, en février 1783, âgé seulement de 44 ans. Martin a donc le statut de chef de famille. C'est une lourde charge, son plus jeune frère n'a que 9 ans. Martin est propriétaire en indivision avec ses frères, de tous les biens paternels (car son père a dû mourir intestat). En propre, il possède seulement une treille, située aux Contamines, que lui a léguée sa grand-mère (qui était aussi sa marraine).

Étiennette est la seconde d'une fratrie de 8 enfants. Il est probable que ses parents ne l'ont pas poussée plus tôt au mariage, car ils avaient besoin d'elle pour s'occuper des plus jeunes. En effet, sa mère, née Marie Glaisat Blanc, a eu son dernier enfant alors que Étiennette avait déjà 21 ans. Peutêtre même envisageaient-ils qu'elle reste vieille fille. Seulement voilà ! Étiennette s'est laissée séduire par Martin, elle en a même eu un enfant illégitime : Bernard, né le 16 juillet et mort 15 jours plus tard. Étiennette sait parfaitement tenir une maison et connaît le dur labeur des paysannes de son temps. Elle va pouvoir seconder efficacement son jeune époux. Compte tenu du contexte : le décès encore récent du père du marié, et la naissance d'un enfant hors mariage mort rapidement, le mariage ne donne pas lieu à une fête.

Voilà donc notre jeune couple, Martin et Étiennette, s'installant dans la maison familiale de Rognaix où ils cohabiteront quelques temps avec les frères et soeurs de Martin. Puis ses soeurs se marieront, et ne resteront que Hippolyte et Claude, vieux garçons. Par contre, elle n'aura pas à subir la mainmisede ses beaux-parents dans sa vie quotidienne. En effet, comme on l'a dit précédemment, son beau-père est mort et sa belle-mère va rapidement se remarier avec un dénommé Jean François Forestier qu'elle va suivre à Pussy, avec Pierre son plus jeune fils.

Après deux ans de vie commune, Étiennette donne naissance à une fille prénommée Marie. Je n'ai, par la suite, trouvé aucune trace de cette petite, ni dans les registres paroissiaux, ni dans les papiers de famille. Je pense qu'elle est peut-être décédée dans les jours qui ont suivi la naissance. Cette hypothèse est confortée par la naissance d'une seconde fille, Martine, très exactement 9 mois plus tard. Or, à l'époque, les femmes allaitaient et les naissances étaient généralement espacées de 2 ans, sauf, justement, lorsque le nouveau-né décédait rapidement.

Heureusement pour le jeune couple, Martine est un bébé en bonne santé qui va profiter pleinement du lait maternel durant au moins une dizaine de mois. Une fois le sevrage de l'enfant intervenu, le cycle habituel de la vie reprend son cours et voilà bientôt Étiennette, de nouveau enceinte. Nous sommes en 1787, Étiennette sait que ce nouvel enfant naîtra à la fin de l'année. Ce n'est pas plus mal. Certes, il fera froid et il faudra bien protéger le nouveau-né mais, pour les parents, le labeur sera plus léger.

Fin décembre, les travaux des champs sont terminés et, surtout, c'est le temps du cycle de Noël : 12 jours allant du 25 décembre au 6 janvier. On améliore alors un peu les menus quotidiens. C'est, aussi, le temps des veillées : à la lueur des « cruéjuts » et du feu de cheminée, on chante « chalande », Noël en patois.

Mais quand naîtra-t-il cet enfançon ? Finalement il arrive le lendemain de Noël. Étiennette accouche chez elle, comme d'habitude, assistée d'une Rognairaine faisant office de sage-femme. Cette dernière n'a pas de connaissance médicale, mais elle sait quoi faire en cas de menace de mort imminente du bébé. Car, c'est ce que craignent, avant tout, les parents, que leur nouveau-né meure sans baptême. Bien sûr, on a prié St François de Sales, peut-être même a-t-on mis sur le ventre de la parturiente une relique du saint (en fait il s’agissait généralement d’une étoffe ayant touché une relique du saint, qui devenait ainsi relique elle-même !). St François de Sales est le patron des femmes en couches. Mais rassurons-nous, cette fois-là, tout va bien. Les parents sont radieux : voici leur fils premier-né : Jean Martin.Le Jean Martin dont je vais vous conter la vie.

Dans les 3 jours qui suivent sa naissance, très exactement le 28 décembre 1787, jour des Saints Innocents, on le baptise à l'église de Rognaix. Oh ! La cérémonie est toute simple : le curé Jean Baptiste Favre, un enfant de choeur, le père, le parrain : Martin Collombier, la marraine, la voisine accoucheuse et voilà tout. En guise de cadeaux, Étiennette et Martin ont sans doute eu quelques oeufs et du fromage. La mère est restée à la maison. Il lui faudra attendre la cérémonie des « relevailles » pour retrouver le chemin de l'église.

La famille Colliard, comme toutes les familles de Tarentaise à cette époque, est très croyante. Le soir, avant de coucher Jean Martin dans son berceau, sa maman lui fredonne une petite comptine, comme celle-ci par exemple : « nez carcan, bouche d'argent, menton fleuri, l'enfant rit » puis elle trace sur son petit front le signe de la croix. Lorsqu'il ne tiendra plus dans son « bri », soit, il dormira entre ses parents soit, il rejoindra le lit de sa soeur Martine. Les premières bouchées de nourriture solide qu'il mangera seront pré-mâchées par sa maman. Jusqu'à 3 ou 4 ans, il sera vêtu d'une robe, comme sa soeur.

Pour Martin, le père, il faut maintenant penser à accroître le patrimoine de la famille, d'autant qu'au fil du temps, d'autres enfants vont naître : Joseph, Suzanne, Josephte. En 1785 déjà, il avait acheté 1/3 d'une grange et 1/6 d'une masure, situées à La Ville. En novembre 1788, grâce à un emprunt de 100 livres à Jean Antoine Péronnier, il achète, toujours à La Ville, et contiguës à ce qu'il a déjà, une maison et la place devant, appartenant à Claude Gonessat. Le même jour, mais en indivision avec ses frères, il achète une pièce de vigne.

1790 est une année de grosses dépenses, il a décidé de construire une nouvelle maison, pour cela il demande l'autorisation de couper 80 sapins dans la forêt communale, ce qui lui est accordé. Avec la participation de ses frères, il doit aussi verser la somme de 200 livres pour la dot de sa soeur Jeanne. Martin et Étiennette, qui ne savent ni lire ni écrire, aimeraient bien que leur fils Jean Martin aille à l'école. A Rognaix, c'est possible depuis 1786. Le curé Favre en a ouvert une aux Teppes qui fonctionne pendant 4 mois l'hiver. On y apprend d'abord à lire, puis à écrire et à compter. L'apprentissage se fait en français, mais on travaille aussi un peu de latin. L'enseignement est sommaire : il s'agit juste de faciliter le quotidien des gens. Parler français est indispensable lorsque l'on a besoin d'aller travailler ailleurs. Si l'on apprend à rédiger une lettre manuscrite et à la lire, c'est quasiment en phonétique. L'enseignant n'insiste pas sur l'orthographe ou la grammaire.

L'enfant débute sa scolarité vers l'âge de 6 ans, elle s'achève vers 10/11 ans. L'absentéisme est fréquent, l'aide aux travaux familiaux est toujours privilégiée. Jean Martin aurait dû commencer l'école durant l'hiver 1793/1794, mais tout ne se passe pas comme prévu. 

Depuis le milieu des années 1780, on sait qu'en France souffle un vent de révolte. Cela entraîne des répercussions économiques jusque dans les plus petits villages de Savoie. L'émigration a fortement ralenti, partir sur Lyon ou sur Paris devient hasardeux. De nombreuses familles se trouvent donc privées de ressources peut-être peu élevées mais fort précieuses. La vie dans les campagnes est de plus en plus difficile.

En 1790, une cinquantaine d'émeutes secouent la Savoie. En 1792, il y a « deux cent trois vingt et treize âmes » à Rognaix, soit 273 habitants pour 38 familles. 5 Rognairains vivent à Paris. Une famille Saint-Paulaine est venue s'installer là depuis trois ans, il y a aussi 2 Tignards, et une veuve, de Suisse, avec son fils.

En août 1792, les autorités demandent aux Rognairains de livrer plusieurs dizaines de quintaux de foin pour soutenir la cavalerie de l'armée de Savoie. Cela ne présage rien de bon. Fin septembre 1792, les Français envahissent le pays, plutôt pacifiquement d'ailleurs ; les soldats ont reçu l'ordre « de respecter comme des frères les habitants de la Savoie » . Savoie qui devient le 84ème département de la République sous l'appellation de département du Mont-Blanc. Jusqu'au mois de janvier 1793, tout se passe assez bien. De plus, Rognaix est à l'écart de la route provinciale Conflans-Moûtiers sur laquelle circulent différents bataillons de l'armée des Alpes : les hommes risquent donc moins d'être réquisitionnés au service de cette armée, contrairement, par exemple, aux Bathiolains. Néanmoins, les Rognairains sont soumis, comme les autres, à l'approvisionnement en nature des troupes et, notamment, en fourrage pour les animaux.

A partir de février 1793, l'état d'esprit change. La constitution civile du clergé est mise en place. Jean Baptiste Favre, le curé, prête serment. Mais en septembre, il abandonne brusquement son poste et émigre, probablement menacé par les révolutionnaires. Plus question d'école à Rognaix.

En mai 1793, on exige de Rognaix, comme de toutes les communes, de recenser tous « les garçons et veufs sans enfant, depuis l'âge de 18 ans jusqu'à quarante ans ». Cela doit permettre de nommer « des volontaires » qui intégreront l'armée des Alpes « le temps nécessaire pour sauver la patrie en danger ». Rognaix n'a sans doute eu à fournir qu'un ou deux volontaires, ils pouvaient être soit désignés de force, soit élus ou, encore, tirés au sort.

Durant l'été 1793, pas question que Jean Martin accompagne son père et sa mère au Villard de Saint-Paul, comme il le fait habituellement. En effet, la guerre est là, les troupes piémontaises sont de retour. En se retirant, les troupes françaises commettent des exactions : à Saint-Paul, elles détruisent tout ce qui se trouve au presbytère. Mais les Piémontais vont vite devoir repartir de l'autre côté des Alpes.

En novembre 1793, les cloches des églises sont confisquées. Je n'ai pas trouvé à quelle date précisément les Rognairains ont livré les leurs à Conflans. La municipalité est aussi chargée de désarmer la population aussi bien de ses armes à feu que des sabres. Le résultat est sans doute le même qu'à Saint-Paul, personne n'a d'armes, pas plus la famille de Martin Colliard que les autres.

En avril 1794, celui que l'on nommera le « terrible Albitte » décide de réorganiser la province de Tarentaise. Rognaix devient Belle-Arête et ne va plus former qu'une seule commune avec Saint-Thomas, Blay et Saint-Paul. Cette nouvelle commune portera le nom révolutionnaire de Saint-Paul : Du Passage. Il est prévu que seule subsiste l'église de Saint-Paul, jugée bien suffisante pour les 1026 habitants de la nouvelle commune qui va dépendre du canton de Roc Libre : Conflans. Le calendrier aussi change, de grégorien il devient républicain : le 3 avril 1794 est en fait le 14 Germinal An II.

En 1795, on change de monnaie : le franc remplace la livre. Heureusement ils sont de valeur à peu près équivalente, une livre vaut 0,987 francs.

Jean Martin grandit donc dans une période troublée : pas d'école, pas de vie religieuse (du moins officiellement), plus de messes, plus de processions, plus de cloches rythmant la journée ou prévenant des dangers. On finirait par croire que l'on ne sait plus où l'on habite : 

« - Demain nous allons à la foire à Mont-Salin ! − C'est quoi ça, Mont-Salin ?

− C'est Moûtiers. − En revenant, on s'arrêtera chez les cousins aux Charmilles. − C'est quoi les Charmilles ? − C'est Feissons-sous-Briançon. »

On voudrait nous faire croire que même le temps qui passe n'est plus le même. Chaque mois n'a plus quatre semaines mais trois décades...

Chez les Colliard, comme chez leurs voisins, on sait faire le dos rond. Si cela fait plaisir aux nouveaux venus, faisons semblant mais, entre nous, ce n'est pas demain la veille que l’on va adhérer à ces bêtises... Rognaix, c'est Rognaix ! Le poids des habitudes est le plus fort, le nouveau nom de Belle-Arête n'est quasiment pas utilisé, les églises restent à leur place, même si l'on a bien dû se résoudre à détruire la partie haute du clocher, toujours à cause de cet abominable Albitte.

Tout cela n'empêche pas d'espérer, malgré tout, un monde nouveau, plus juste et moins dur à vivre. Les idées nouvelles, tout doucement, vont faire leur chemin dans les mentalités. 

Les documents du « fonds d'archives Colliard » ne donnent pas d'indication précise sur l'enfance de Jean Martin. On ne sait pas quand une petite école se remet en place à Rognaix, ni à quel moment Jean Martin va la fréquenter. On ne sait rien non plus de son adolescence. Elle est, sans doute, conforme à celle de tous les jeunes montagnards de l'époque : le rude apprentissage de la vie de paysan. Les foins, les animaux, le fromage, la montagne, un peu de culture, le bois, peut-être aussi le charbon. A Rognaix, en été et à l'automne, on produit pas mal de charbon de bois. Et comme la vie est difficile, il faut s'entraider, on prête bien souvent ses bras aux autres familles du village, on donne un coup de main à la famille Tetaz, du Villard de Saint-Paul.

Grâce à un rapport du curé Favre à l'évêque, nous savons qu'en 1802 Rognaix est composée de trois villages : La Rochette avec 6 familles, Les Teppes : 13 familles et enfin La Ville avec 22 familles. Il n'y a aucun cabaret, contrairement à Saint-Paul où plusieurs semblent ouverts. Voici ce qu'ajoute le curé Favre sur la vie quotidienne : « il y a à Rognaix plusieurs hameaux et villages dans les monts, éloignés de la plaine .../... (où sont) des métairies où quelques personnes des trois quarts des familles environ restent depuis un peu avant La Toussaint jusqu’à la Saint Sébastien ou la Chandeleur, et depuis environ le 10 de may jusqu’à la Saint Barnabé, pour y faire consommer le fourrage des prés et champs qu’on y a, et gouverner le bétail, et que de ces particuliers il y en a depuis quinze jusqu’à vingt qui y demeurent en outre tout l’été, ce qui fait environ huit mois » .

Jean Martin est proche de ses deux oncles Hippolyte et Claude, avec des liens plus forts peut-être avec Hippolyte. En 1806, l'oncle Claude est dans l'armée napoléonienne, plus précisément il fait partie de l'armée d’Outre-Rhin. Cette armée se prépare pour la campagne de Prusse et de Pologne. A-t-il choisi son engagement ou a-t-il été désigné d'office, nous n'en savons rien. En tout cas, la vie de soldat semble bien difficile pour ce Rognairain. Le 16 juillet 1806, il écrit à son frère Martin pour lui demander un peu d'argent. En effet les soldats cantonnés à l'étranger ne perçoivent pas leur solde. Il précise «Je suis très mal habillé .../... nous sommes toujours nourris chez le paysan et l'on nous blanchit mais très mal et nourrit de même ». Dans son régiment, il a deux compatriotes savoyards, l'un d'Esserts-Blay : Varcin et l'autre d'un village dont on ignore le nom : Deschamp. Il signe sa lettre : « Je suis pour la vie votre frère, Colliard Claude, caporal » .

Revenons à Jean Martin, à quoi ressemble-t-il ? Je n'ai, bien sûr, pas de photo à vous présenter. Mais nous disposons d'un document précieux qui nous le décrit. Comme tous les jeunes de 20 ans, en 1807, Jean Martin se rend au conseil de révision à Moûtiers et là, il est déclaré inapte au service militaire « pour avoir une faible complexion » . Voici son certificat de dispense définitive. On y lit que Jean Martin mesure 1 m 66, qu'il a les cheveux roux, les sourcils châtains, les yeux gris roux, un front étroit, un nez régulier, une petite bouche, un menton rond et enfin un visage ovale. On note au passage que la famille est pauvre et donc il n'a à payer aucune indemnité en dédommagement de sa dispense. De quoi souffrait exactement Jean Martin ? Nous l'ignorons. Une « faible complexion » signifie, en général, quelqu'un de maladif, aux aptitudes physiques et la résistance limitées.

La conscription, c'est ce que l'on craint le plus pour les jeunes hommes. L'agriculture n'est pas mécanisée, on a besoin des bras de tous. Beaucoup de jeunes Tarins échappent néanmoins à cette conscription. Pour faire un bon soldat, il faut un solide gaillard. Or dans nos montagnes, les hommes sont petits, beaucoup ont souffert de rachitisme dans l'enfance ; le goitre et le crétinisme sont répandus. Pour celui qui est en pleine forme, reste la solution du mariage, encore faut-il avoir de quoi entretenir un ménage.

Mais la jeunesse est la jeunesse avec, comme toujours, sa part d'insouciance. Les deux cousins germains du Villard de Saint-Paul : Jean et Jean Antoine Tetaz sont amis avec Jean Martin et son frère Joseph. Nous le voyons à travers un des carnets de Jean Martin. Carnets où, tour à tour, chacun d'entre eux s'exerce à écrire. D'abord on y copie des chansons : chansons à la gloire des soldats, à la gloire de Napoléon, comme celle intitulée « A Vienne » ou bien chansons coquines. On y copie aussi des tournures de phrases, des modèles de correspondances qui pourraient être utiles. On s'exerce à bien tracer les lettres. On découvre l'art de la grammaire, bref, on essaie d'apprendre. 

Le 17 février 1811, la famille Colliard est en fête. Martine, la soeur de Jean Martin, se marie. Elle épouse Barthélémy Santiquet, du Parc d' En Haut à Saint-Paul. Jean Martin est témoin et l'on constate qu'à ce moment là, lui et son père Martin savent signer alors que Martine est dite « ne sachant écrire ni signer ». (Note : le couple n'aura pas d'enfant viable et, en 1863, Barthélémy Santiquet, devenu veuf, devra redonner aux Colliard la part d'héritage correspondant à la dot de son épouse).

Jean Martin est l'aîné des garçons, il sait que la tradition lui impose de fonder un foyer, ce qui n'est pas le cas des frères cadets. Nous l'avons vu pour le père, Martin, dont les deux frères restés au village sont vieux garçons et vivent sous le même toit que le reste de la famille. Ce mode d'organisation socio-économique est courant en Savoie, il s'appuie sur le principe de l'indivision. La communauté d'intérêts favorise la mise en commun des ressources et évite le morcellement du domaine familial.

En mai 1811, songeant sans doute à l'avenir, Jean Martin prend l'initiative de faire construire un grenier. Il signe une convention avec un maître maçon : Jean Gilonne de Saint-Paul. Ce dernier s'engage à achever le travail en 3 mois, soit pour le premier septembre. Si le délai est respecté, il recevra en sus du paiement (400 francs) un baril de vin ; dans le cas contraire, il devra faire un rabais de 60 F. La construction consiste en la réalisation d'une cave voûtée de 16 m2 surmontée du grenier en maçonnerie. Les murs seront plâtrés et blanchis. Un décor agrémentera la pièce : une petite corniche tout autour des murs et une grappe de raisin en gypse peint au centre du plafond.

A la même époque, on trouve, dans le carnet de Jean Martin, la copie d'une lettre, signée par son cousin Jean Tetaz, l'encourageant à se marier. Il y est dit : « tu verras qu'une bonne et vertueuse femme partage avec son mari tous les plaisirs et les chagrins qui peuvent lui survenir, elle accroît sa satisfaction en y ajoutant la sienne, elle allège ses peines par la part qu'elle y prend. La tendresse conjugale, quand elle est sincère, s'affaiblit rarement... » et plus loin : « une femme vertueuse est encore la meilleure amie qu'un homme puisse avoir... » et enfin : « Non, les célibataires ne peuvent trouver nulle part les secours et les consolations qui se rencontrent dans la société d'une femme. »

En réalité, ce texte n'est pas de Jean Tetaz, il s'agit d'une lettre type qui circule dans toute la vallée de Tarentaise et que l'on recopie à destination de ceux que l'on imagine vouloir rester vieux garçon, à moins que, de temps en temps, elle ne serve, au contraire, qu'à une blague envers un jeune homme un peu trop attiré par le moindre des minois qui passe à sa portée.

Toujours en 1811, un certificat de bonne conduite est délivré à Jean Martin (pour une raison que l'on ignore). Il est écrit qu' « il jouit de l'estime publique ainsi que de la réputation d'un honnête homme et il a toujours pratiqué les devoirs de la piété familiale » .

En 1812, la famille est en deuil, l'oncle Claude est mort. Est-ce au cours d'un combat ? Est-il toujours soldat ? Des recherches plus poussées restent à faire. La seule certitude, c'est qu'il ne décède pas à Rognaix. Les deux soeurs du défunt, déjà mariées, renoncent à leur part d'héritage de ses biens et droits fonciers, moyennant toutefois un dédommagement financier.

Jean Martin est maintenant un homme dans la fleur de l'âge. Sans doute est-il très attaché à son village et à sa famille, mais il espère une vie un peu plus prospère. Comme beaucoup, il décide de tenter sa chance à Paris. Hélas ses espoirs sont déçus. Le 18 avril 1813, il écrit à son oncle Hippolyte : «Depuis mon départ, le temps m'a bien duré » et plus loin, « vous saurez que je viens de faire une perte, le 7 janvier dernier, qui m'a fait bien de la peine parce que l'on nous a tout volé notre argent, on m'a volé dans ma chambre 52 napoléons » puis encore « vous saurez que je gagne passablement ma vie dans ce moment ». La fin de la lettre est touchante : «Je finis en vous embrassant du plus profond de mon coeur, père et mère de mérite et mon oncle et père de coeur, je suis avec honneur votre neveu pour la vie ».

Là non plus, nous ne savons pas combien de temps dure l'aventure parisienne de Jean Martin, ni s'il en revient avec la fortune espérée. On le retrouve à Rognaix en 1815, au mariage, le 7 février, de sa soeur, Josephte, avec un dénommé Joseph Taro, natif de la province d'Ivrée, en Piémont. Pour l'heure Taro habite Saint-Paul, c'est là que le couple s'installera.

Jean Martin a maintenant 28 ans, il est temps pour lui de se marier. Le 9 mai 1815, il épouse une Rognairaine qu'il connaît depuis toujours : Marie Louise Collombier. Elle a 21 ans. En Tarentaise comme en Maurienne, on se marie beaucoup en mai alors qu'ailleurs, en Savoie, on considère le mois de Marie incompatible avec le mariage. Par ailleurs, dans certaines paroisses tarines, le mariage ne doit pas être consommé durant la nuit de noces, ni d'ailleurs la nuit suivante. Était-ce le cas à Rognaix ? Le jour de la cérémonie, la mariée porte la robe noire, habituelle des dimanches ou jours de fête. Sa tenue se distingue par une couronne de fleurs à rubans et un autre ruban large autour de la taille.

La fête passée, le souci du quotidien s'impose à nouveau. Le jeune couple est pauvre. Comment améliorer l'ordinaire ? Deux mois après son mariage, le 24 juillet 1815, Jean Martin est nommé garde forestier sur proposition du conseil de Rognaix et par ordonnance de l'intendant de Tarentaise. L'administration forestière n'est plus soumise à la loi française, en effet 1815 est l'année de la Restauration sarde. La livre redevient la monnaie savoyarde. Mais le régime sarde a les mêmes préoccupations que les Français : la forêt a un rôle économique important. Elle est utile non seulement aux communautés rurales dans leur vie quotidienne mais, surtout, elle est indispensable à l'industrie. Or, elle a toujours été surexploitée. Jusqu'à l'arrivée des Français en 1792, les salines royales de Conflans étaient grosses consommatrices de bois. Désormais, il faut alimenter la fonderie royale de Conflans. Mais les industriels privés, propriétaires de hauts fourneaux, de forges et autres ateliers, sont eux aussi gros consommateurs. Ils sont en concurrence avec les industries royales. Les villageois sont tentés d'exploiter plus ou moins légalement une source de revenus à leur portée. Les gardes forestiers doivent donc surveiller et encadrer de près tout ce qui se passe dans la forêt. Il faut des gens qui connaissent parfaitement leur territoire mais qui soient également suffisamment intelligents et instruits pour rédiger des procès-verbaux, compléter des rapports et autres tâches administratives, certes moins lourdes qu'aujourd'hui mais néanmoins indispensables. Jean Martin a, semble-t-il, toutes les qualités requises. Il exercera ses nouvelles fonctions, en plus de son travail depaysan.

En 1816, Marie Louise est enceinte de son premier enfant. Elle accouche d'un fils : Charles Martin le 4 novembre. Hélas, l'enfant décède 2 semaines plus tard. Le couple éprouve sans doute de la tristesse face à cet évènement, mais c'est chose courante à l'époque et, l'on sait bien qu'une autre grossesse ne tardera pas.

C'est aussi en 1816 que le système décimal est appliqué à la monnaie. Les Rognairains, comme les autres Savoyards, avaient apprécié ce système imposé par les Français et ils étaient fort mécontents du retour à l'ancienne pratique.

En 1817, Jean Martin achète du terrain à Bayet. La même année, un document, concernant la délivrance du bois d'affouage, nous montre que vivent sous le même toit : les parents, Martin et Étiennette, Hippolyte l'oncle, le jeune couple Jean Martin et Marie Louise, et Suzanne la soeur de Jean Martin. Concernant son frère Joseph, il semble qu'un passeport lui ait été délivré fin juillet 1817 pour qu'il se rende à Paris. C'est, sans doute, poussé par la nécessité que Joseph a pris cette décision. 1817 est, en effet, une année difficile où la famine reparaît en Savoie. Pour les usages domestiques de toute cette famille durant un an, on lui attribue 3 sapins, 3 fayards ainsi que du petit-bois à prendre sur une parcelle de « broussailles et coudriers ».

Le 2 mai 1818, Marie Louise met au monde un petit garçon : Alexis. Cette fois tout se passe bien. Cette bouche supplémentaire à nourrir va, en fait, remplacer Suzanne, la soeur, qui se marie un mois et demi plus tard avec un Saint-Paulain : Joseph Marie Sylvoz. Mais là, constat surprenant, le marié a tout juste 15 ans. Il est orphelin de père et son beau-père Martin devient son tuteur légal. Les jeunes gens auraient-ils, comme on dit, « mis la charrue avant les boeufs » ? Une grossesse est-elle en cours ? Pourtant les registres n'indiquent une première naissance qu'en 1820. Le couple Sylvoz s'installe à Saint-Paul, dans la famille du jeune homme.

Jean Martin économise sou à sou et, dès qu'il le peut, il achète un petit bout de terrain, comme en 1819 à La Chiardaz, puis des treilles au mas de La Contamine.

En 1820, Rognaix est toujours une commune pauvre. Il n'y a pas encore de maison commune. Le conseil se réunit chez le syndic, François Ducrey. Dans leur vie quotidienne, les Rognairains essaient de s'attirer les bonnes grâces du ciel. Le curé bénit une fois par an soit les maisons situées dans la plaine, soit celles situées dans la montagne qui ne sont habitées qu'une partie de l'année. Après la bénédiction de chaque maison, il bénit ensuite les troupeaux qui sont dans l'étable voisine. La famille dont la maison est bénie doit lui offrir un fromage de sa fabrication. Il va aussi, une fois par an, bénir la montagne de Basmont.

Le 5 février 1821, Marie Louise accouche à nouveau d'un garçon : Joseph Martin. Alexis a bientôt 3 ans, il est heureux de la venue de ce petit frère. Hélas ce doux bonheur familial tourne au drame : les deux petits décèdent, à 3 jours d'intervalle, à la mi-mars. Ils sont probablement victimes d'une épidémie infantile. Le même mois, 8 enfants de Rognaix meurent. Tous sont enterrés au cimetière du village, dans le quartier des enfants. Marie Louise fait sans doute partie de la confrérie du Rosaire. Elle a bien besoin du soutien moral des consoeurs. Les neuvaines, messes et prières aident les croyants à surmonter l'épreuve.

La vie continue, Jean Martin achète, le mois suivant, une treille aux Teppes. Son père, Martin, a toute confiance en lui. En juillet 1821, il le « constitue pour son procureur spécial » c'est-à-dire qu'il lui donne procuration pour le représenter notamment dans un conflit juridique. A l'époque, ces conflits sont fréquents, les villageois sont très procéduriers.

Le 2 avril 1823, Marie Louise donne naissance à sa première fille : Julie.

Fin 1823, les veilles de Noël, plus exactement le 20 décembre, la famille Colliard subit une épreuve qui, cette fois, touche à son honneur. Joseph, le frère de Jean Martin, en est la cause bien qu'il ne soit pas à Rognaix mais à Paris. C'est une lettre de Jean Baptiste Gonessat, lui aussi émigré à Paris, qui annonce la mauvaise nouvelle. « Il est pénible pour moi de vous apprendre une aussi triste nouvelle mais l'honnêteté m'y engage, votre fils Joseph Marie a fait un vol domestique chez son maître. Le vol est de deux mille trois cents francs. Il a été au jeu, il a perdu le montant ci-dessus porté, il est maintenant entre les mains de la justice et le seul moyen de le retirer c'est de rembourser les fonds afin que le maître retire sa plainte d'entre les mains du procureur du roi. Sans cela il sera exposé, marqué, et aux galères. L'honneur est perdu si vous n'apportez là un prompt secours. » Gonnessat précise que, de surcroît, Joseph lui doit de l'argent ainsi qu'à d'autres « pays » (c'est à dire Rognairains à Paris). Au total, le vol, plus les dettes s'élèveraient à environ 3000 F, ce qui est considérable. Il presse le père, Martin, de venir porter secours à son fils. Après réflexion, la famille Colliard décide de demander l'aide du cousin Jean Tétaz de Saint-Paul. C'est le neveu d' Étiennette et il est, lui aussi, à Paris. L'angoisse et l'attente sont sans doute terribles car l'annonce d'un départ aux galères c'est quasiment une mort annoncée. D'autant qu'un Savoyard à Paris, c'est un étranger, et il est à craindre que la justice française ne soit impitoyable. En définitive, 8 mois plus tard, Jean Tetaz écrit : « Mon cher oncle, et chère tante. C'est avec bien du plaisir que j'ai à vous annoncer que votre nom est sans tache. Joseph est libéré du plus grand de ses maux. Consolez-vous, Dieu m'a fait la grâce que je lui ai demandée pour vous et pour lui. Il ne lui reste plus qu'une petite détention, où j'espère si Dieu me conserve la vie, de vous le rendre digne de la société et de citoyen où personne n'aura droit d'insultes à votre égard et au sien. » Il précise « il y a bien peu des gens de nos pays qui ne croyaient pas que je puisse le sauver ». Le même jour, les Colliard reçoivent une lettre de Joseph, toujours emprisonné à Bicêtre et probablement pour une année encore. Il leur demande pardon et promet d'être désormais un fils exemplaire. Il termine sa lettre ainsi : Cher père, chère mère, (je suis) un fils indigne de vous, le plus soumis et respectueux des fils, j'arrose vos pieds de mes larmes en attendant votre pardon, j'embrasse mon frère et mes soeurs du plus profond de mon coeur et me recommande à vos prières. Votre fils et frère. Apparemment, Joseph ne rentrera jamais à Rognaix, si ce n'est pour de courts séjours. Il passera le reste de sa vie à Paris sans jamais y faire fortune. Dans sa vieillesse, il devra même faire appel à la générosité d'un de ses neveux pour simplement survivre.

Après cet épisode désolant, il faut attendre le 10 octobre 1825 pour que, enfin, un événement heureux survienne : la naissance d'un enfant (qui atteindra l'âge adulte). C'est une fille : Marie Rosalie. Marie Louise et Jean Martin sont mariés depuis 10 ans, ils ont déjà perdu 3 fils. Pas facile d'aller annoncer la bonne nouvelle à la famille du Villard de Saint-Paul : le pont en bois sur le Bayet est en piteux état. Rognaix et Saint-Paul finissent par tomber d'accord pour le reconstruire, Saint-Paul assurera les trois-quarts des frais, et Rognaix le reste ; de plus les Rognairains fourniront le bois nécessaire.

L'année suivante, Jean Martin accentue sa politique d'accroissement de son patrimoine. Il rachète tous les biens de son oncle Hippolyte ainsi que ceux, situés à Rognaix, appartenant à un autre de ses oncles : Pierre, qui, lui, a fondé une famille à Pussy. Hélas en décembre 1826, Jean Martin perd cet oncle Hippolyte âgé de 50 ans. L'épreuve est rude car il y était très attaché.

Jean Martin travaille beaucoup. Voici la liste de ce qu'il sait faire et qu'il monnaye auprès des autres villageois qui font appel à lui en commençant par tout ce qui est travail du bois : couper, transporter, équarrir ce bois, faire des planches, de la charpente, faire de la menuiserie : cadres de porte, portes, planchers, escaliers, etc. faire des meubles : gardes robes, tables, lits... faire des maisons pour les mouches à miel. faire des objets : des galoches, des socons, des cornues, un barillon de châtaignier, le fond d'une cuve... Il sait aussi travailler et installer les bourneaux, indispensables à la desserte en eau. Il sait aider à construire un bâtiment : On l'a vu, il a des compétences en charpente, mais aussi dans le « couvert à paille » (couverture en chaume), dans la maçonnerie.

Il travaille la terre : faire le labour, semer l'avoine, le blé noir, le seigle, battre les céréales, faire le foin, le fumier, faire des voyages de terre. Il aide aussi les propriétaires de moulin à en entretenir le mécanisme. Avec « sa bourrique », il travaille à la journée chez qui a besoin de ses services. Il s'occupe des animaux. Les lieux cités pour son travail sont essentiellement : la plaine, la Tetaz, Pravis.

Parfois, il va travailler chez quelques Saint-Paulains.

En 1827, il continue d'acquérir des biens. ; car comme dit le curé de l'époque : « toutes les idées des Rognairains sont tournées du côté de la terre ! » . Il achète 3 parcelles en plaine et deux en montagne appartenant à un certain François Collombier, natif de Rognaix mais domicilié à Notre Dame des Millières. C'est une mauvaise affaire qui débouchera sur un procès. En réalité, François Collombier n'est pas l'unique propriétaire, et ses frères vont revendiquer leurs droits. A l'issue du procès qui durera plusieurs années, Jean Martin ne conservera que moitié des parcelles de plaine, les parcelles de montagne reviendront aux frères Collombier.

1827, c'est aussi l'année où une petite école ouvre à La Rochette. Antoine Roux fait un don de 400 livres et lègue également la maison qu'il habite pour en faire le local de l'école. Cette dernière fonctionnera jusqu'en 1865.

La naissance d'un fils, le 17 janvier 1828, est une joie pour les Colliard. Joie de courte durée : le petit Joseph Marie décède 11 jours plus tard. Mais la même année, le 21 décembre, arrive un nouvel enfant. Cette fois, c'est une fille : Marie Virginie, et elle vivra... (Elle aura 10 enfants) .

Les banques, telles qu'on les connaît aujourd'hui, n'existent pas encore. Alors, si un besoin important d'argent se fait sentir, on emprunte à d'autres particuliers. En 1825, Jean Martin emprunte 400 livres neuves en pièces d'or au curé Revet, de Rognaix, et 400 livres neuves en pièces d'or et d'argent à Martine, épouse de Louis Colliard. Son père, Martin, se porte caution.

En 1830, Jean Martin demande l'autorisation de couper 15 sapins pour achever la construction d'une grange (je n'ai pas trouvé où) . Martin Collombier, son beau-père (et peut-être parrain), demande l'autorisation d'établir un four à chaux à la montagne de Basmont (l'emplacement existe depuis déjà plus de 30 ans). « C'est aux fins de faire cuire une quantité de pierres dont le produit est destiné aux réparations de son bâtiment de maison ».

Cette année là, ce Martin Collombier est le syndic de Rognaix. Avec le conseil, il prend la décision de couper 30 sapins dans la forêt communale « dont l'administration a un besoin urgent pour faire réparer, avant l'arrivée de l'hiver, les canaux et aqueducs des bourneaux des villages de La Ville, des Teppes et de deux hameaux principaux situés en colline, lesquels se trouvent entièrement dépourvus d'eau et qu'il importe d'abreuver, pour prévenir de plus grandes dégradations dans les canaux qui peuvent encore servir... » .

1831 : Marie Louise est de nouveau enceinte. Elle accouche, le 18 octobre, d'un fils, Joseph Marie. Il est le premier garçon qui va vivre et qui, en tant qu’aîné, succédera à son père.

Quelques jours plus tard, le 27 octobre 1831, a lieu un événement important dans la vie d'un homme de l'époque : son émancipation. Eh oui, bien qu’âgé de 44 ans, Jean Martin le fils est toujours sous la tutelle de Martin, le père ! C'est la loi en vigueur. Ils se sont rendus à Conflans, chez le notaire, vêtus de leurs plus beaux habits.

Je vous donne lecture d'une partie de cet acte d'émancipation : «Le sieur Colliard Martin fils majeur de défunt Eusèbe, propriétaire, natif et habitant de la commune de Rognaix lequel nous a représenté qu'il a été humblement supplié par le sieur Jean Martin Colliard, son fils aîné, âgé de quarante ans aussi natif et habitant de la dite commune de Rognaix, ici présent de bien vouloir l'émanciper et mettre hors des liens de la puissance paternelle et que connaissant son aptitude à gérer et administrer les affaires, il veut bien y consentir, persuadé qu'il n'abusera pas de cette faveur, et ils nous ont en conséquence, l'un et l'autre, supplié de les admettre aux incombances en pareil cas requises ; à quoi adhérant nous avons fait placer le sieur Colliard père assis sur un fauteuil à nos côtés, couvert de son chapeau, et avons fait mettre son fils à ses genoux, la tête nue et les mains jointes, lesquelles le père a pris entre les siennes et les a ouvertes, et fermées, trois fois, en lui disant chaque fois en signe de vrai et réelle émancipation « Mon fils, je t'émancipe et te mets hors des liens de ma puissance paternelle, je te donne et abandonne tous les profits et acquis que tu feras à l'avenir, ainsi que ceux que tu as faits par le passé, iceux arrivant à la somme de 3000 livres neuves ; et c'est tant en propriété qu'en usufruit, sans aucune réserve ni exception quelconque, et en quoi que le tout consiste et puisse consister, je te donne en outre le pouvoir d'acheter, vendre, aliéner, emprunter, prêter, hypothéquer et passer tous actes et contrats, comme un chef de famille, libre des biens, droits et personnes, à la charge par toi néanmoins de continuer à me porter l'honneur et le respect que tu me dois, et de me soulager dans ma vieillesse et mes besoins » .

En 1833, Jean Martin, qui a 46 ans, doit cesser son activité de garde forestier. Il est atteint d'une surdité sévère qui l’handicape sérieusement et le contraint à démissionner de son poste.

Le 20 mars 1834, son épouse Marie Louise donne naissance à une fille. Elle meurt dans les instants suivants mais a eu le temps d'être baptisée. Cependant on ne lui attribue pas de prénom.

Un an plus tard, le 6 avril 1835, Marie Louise accouche d'un garçon, Marie Gabriel, qui plus tard deviendra menuisier.

Le 1er janvier 1836, Conflans et l'Hôpital fusionnent pour devenir Albertville.

En décembre 1837, la mère de Jean Martin, Étiennette, décède. Elle est âgée de 83 ans, c'est, pour l'époque, un très grand âge. Le père, Martin, plus jeune de 8 ans, est très affecté par ce décès. Il se laisse aller. La naissance prochaine d'un nouveau petit-enfant ne suffit plus à le motiver.

Le 19 mars 1838, Jean Martin envoie chercher Maître Mugnier, notaire à Cevins, car son père veut rédiger son testament. Dans ce testament on lit que Martin « quoique malade de corps et dans un âge avancé, jouit néanmoins de la plénitude de ses facultés intellectives, mémoire, jugement et entendement ». Il institue Jean Martin, son fils aîné, « avec lui habitant » son héritier universel. Les autres enfants ont chacun une petite part d'héritage, y compris le fameux fils cadet Joseph qui est dit « dès longtemps absent du pays » .

Trois semaines plus tard, une dernière joie est donnée à Martin, la naissance d'une jolie petite fille : Marie Césarie. Elle est le dernier enfant qu'auront Jean Martin et Marie Louise.

Dix jours après, le 14 avril 1838, Martin entre en agonie. Il est entouré de sa famille, le prêtre lui administre les derniers sacrements. Il rend l'âme à 8 h du soir. Il a 76 ans.

Désormais, c'est lui, Jean Martin, le patriarche de la famille Colliard. Il gère ses affaires en homme avisé : vendant, échangeant, empruntant puis remboursant... On voit qu'en 1839, il verse de l'argent à sa soeur Suzanne en règlement de la succession de leur père. Le mari de cette dernière est dit « absent des états de Savoie ». L'émigration, même saisonnière, est souvent la seule issue pour les plus pauvres.

L'année suivante, son autre soeur, Josephte Marie Taroz lui intente un procès. Toujours suite au décès du père, elle réclame une augmentation de dot. Les Taroz sont dits « propriétaires et aubergistes à Saint-Paul ». Finalement le frère et la soeur trouvent un terrain d'entente.

Jean Martin doit régler quelques dettes contractées par son père, mais il doit, aussi, poursuivre les héritiers d'Hippolyte Bozon Dorier qui lui devaient une somme rondelette et qui refusent de s'en acquitter.

En 1840, Saint-Paulains et Rognairains sont fiers. Pour la première fois, une vue de la cascade de Bayet apparaît dans un livre. C'est le « Dictionnaire du Duché de Savoie ». Il y a aussi des vues du château de Blay, du château de Feissons, de la cascade de Glaize et, enfin, du pont de Notre Dame de Briançon.

En 1843, sa femme Marie Louise hérite de ses parents la somme de 1150 livres et, surtout, un champ, lieudit le Chandelier, au hameau de la Tetaz.

Cette même année 1843, Rognaix entre dans la modernité. Le conseil choisit les plans de l'architecte Mattola pour construire la première mairie-école du village. Les travaux sont adjugés à l'entrepreneur Antoine Marquetti. Combien y a-t-il d'élèves pour fréquenter l'école du chef-lieu ? Mystère... Par contre à La Rochette, il y a 7 à 8 élèves (des 2 sexes est-il précisé).

Jean Martin est maintenant âgé de 57 ans. L'âge venant, il devient irascible. En 1844, alors qu'il a donné son accord pour l'exploitation d'une charbonnière sur une parcelle qu'il possède en indivision avec sa soeur Josephte, il subtilise 16 sacs de charbon entreposés momentanément chez Bernard Péronnier. Les charbonniers Jean François Ruffier et Jean Denis Allemoz sont de Feissons. Leur tâche n'est pas aisée. Une fois qu’il est fabriqué, le charbon est mis en sac sur place, en montagne, puis acheminé au bas du village en traîneau. Ils ont beau essayer de ramener Jean Martin à la raison, peine perdue. Ils l'assignent alors au tribunal qui le condamne à restituer la marchandise ou à en payer la valeur. Dans le même temps, Jean Martin embauche un charbonnier piémontais pour transformer du bois qu'il a acheté dans la forêt de Néron. Il le paie 85 centimes la charge de charbon sous déduction de sa nourriture : farine, fromage et tabac. Le charbon est ensuite vendu aux industriels qui en ont besoin.

L'humeur de Jean Martin est d'autant plus mauvaise que sa fille aînée Julie, âgée de 21 ans, est enceinte, on ignore qui est le père. Elle accouche le 7 novembre 1844 d'une petite fille : Alexine.

Voilà une bouche de plus à nourrir, néanmoins la famille Colliard assume et Julie reste avec son enfant au domicile de ses parents. Ce n'est que sur le tard, à la quarantaine, qu'elle se mariera avec un dénommé Jean Mercier, ils auront ensemble une autre fille de 18 ans la cadette d'Alexine.

Le 11 septembre 1845, un édit royal décide qu'à compter du premier janvier 1850, seuls les poids et mesures du système métrique décimal seront autorisés. Le mètre, l'are, le stère, le litre, le gramme remplaceront pied, toise, journal, bichet, pot, charge et autres mesures jusque-là traditionnelles. 

Mais ces bouleversements, Jean Martin ne les verra pas. Il meurt le 3 février 1849, chez lui, après avoir reçu l'extrême-onction. Il est 5 h du matin. Il a 62 ans. La plus jeune de ses filles n'a que 11 ans. Sa veuve, Marie Louise, lui survivra durant 15 ans. Elle aura l'immense chagrin de perdre cette fille cadette, Marie Césarie, à l'âge de 21 ans dans des conditions tragiques. L'acte de décès mentionne : « emportée par un torrent, d'un éboulement de terre ». On ne retrouvera pas son corps, ni celui de Jean Joseph Colliard, sacristain âgé de 40 ans, qui cheminait avec elle. C'est au lieu-dit « Grand Creux » que se déroule la catastrophe.

Sur les onze enfants du couple, 5 seulement auront une existence « normale ». A eux 5, ils auront quand même 30 enfants... (au moins d'après ce que j'ai retrouvé) .

Celui qui succédera directement à son père sera Joseph Marie. En 1860 il épousera Anastasie Denche, de Saint-Paul, de laquelle il aura 9 enfants.

L'autre garçon, Marie Gabriel, sera menuisier. Il se mariera avec une Rognairaine, Marie Cécile Collombier, avec qui il aura 6 enfants.

 

Saint-Paul, en 2009 Evelyne BLANC

Merci à Evelyne BLANC de Saint Paul sur isère, Conférencière, pour cet article riche d'informations, tant sur les traditions de l'époque, des coutumes, des lieux et noms cités

Le visage de Claudius

003_Claudius Poux.jpgC'ETAIT une aube d'été 44 où la nuit semblait enfin vouloir finir pour donner aux couleurs du matin l'espoir d'un autre temps. Pourtant, la haine suait encore dans les silences coupables et les mots complices. Partout, la botte guettait les ombres, rodait dans les campagnes enflées du secret de ceux qui n'avaient jamais plié. Et puis, il y eut des coups à la porte, des cris, des crachats sur le visage de Claudius arraché à la douceur du jour du petit village de Rognaix en Savoie. Ils l'ont poussé sous les crosses jusqu'à l'hôtel Genet, battu à coups de barres pour que la souffrance livre des noms. Il n'a rien dit parce qu'il n'attendait rien. Rien d'autre que d'avoir la force de marcher sur le chemin des supplices ou des tortures de la nuit. Marcher comme le père le lui avait appris. «Ne plie pas petit, la haine des bourreaux n'est rien face au silence d'un visage qui sourit, marche, petit, n'aie pas peur, nous t'attendrons à l'autre bout du jour.» «Je marcherai, père, je ne dirai rien, mais le jour est trop beau pour mourir.» La nuit tomba dès l'aube. Fallait-il qu'ils aient peur pour mutiler ainsi le visage de Claudius. Plus ils fracassaient, plus ils défiguraient, plus le visage s'éclaircissait. Il savait maintenant qu'il ne dirait rien, rien que des cris arrachés à l'horreur des coups. Ligoté à l'affût d'un canon, son visage tuméfié d'un sang d'encre regardait la montagne. Par moments, dans le répit des violences, revenaient des ombres de visages amis, le feu des embuscades sur les sentiers du maquis, les serments jurés dans la clandestinité de la nuit: «Nous marcherons contre la haine, nous refuserons la barbarie. Amis, ne songeons qu'au bonheur. Plus jamais l'humiliation. A l'orée du futur, nous bâtirons un monde taillé à l'ambition de nos rêves. Une France libre, façonnée par nos mains.» Et toujours les coups. Et les lames enfoncées dans les hanches, les hurlements, la tête frappée sur l'acier. Le visage était blanc, la lumière pâlissait. Dans les yeux vides du jeune FTP disparaissaient doucement les couleurs du pays. Une lente descente vers la mort, sans un mot, dans l'humiliation et l'atrocité au bord d'une tombe qu'ils l'obligèrent à creuser de ses mains. Le crépitement de la mitraillette. Le silence enfin. On a retrouvé son corps deux jours plus tard, à demi enterré dans les sillons fraîchement remués d'un champ de maïs. Il s'appelait Claudius Poux. Il avait vingt-trois ans. C'était une aube d'été. A quelques pas de la Libération.

MICHEL ETIEVENT.

Source: L'Humanité  le 30 Août 1994    http://www.humanite.fr/node/220700

 

poux_claude_en_haut_au_milieu[1].png

A 12 ans en haut au milieu

Evolution démographique du Village

 

Évolution de la population ensemble du village

1793

1800

1806

1821

1836

1846

1856

1861

1866

253

241

267

290

298

319

315

281

303

 

 

1872

1876

1881

1886

1891

1896

1901

1906

1911

294

297

279

267

277

283

258

260

259

 

 

 

1921

1926

1931

1936

1946

1954

1962

1968

1975

264

273

270

276

247

239

222

255

296

 

 

 

1982

1990

1999

2006

2007

2008

2009

2010

-

294

287

374

417

423

429

432

436

-

 

 

Évolution de la population sur ensemble du village avec détails pour quelques dates

1881 Maire Marie Martin COLLIARD

 

MAISONS

MENAGES

INDIVIDUS

ETRANGERS

 

     

 

LA VILLE

17

26

134

 

LES TEPPES

16

18

104

 

LA ROCHETTE

7

7

31

 

LE BAYET

2

2

5

 

LA MAIRIE

1

2

5

 

 

     

 

 

43

55

279

 

 

1886 Maire Joseph Daniel PERONNIER

 

MAISONS

MENAGES

INDIVIDUS

ETRANGERS

 

     

 

LA VILLE

18

27

123

 

LES TEPPES

15

19

92

 

LA ROCHETTE

7

7

37

 

LE BAYET

1

1

4

1

LA MAIRIE

1

2

8

 

L'EGLISE

1

1

3

 

 

43

57

267

1

 

1891 Maire Alexandre RAVIER

 

MAISONS

MENAGES

INDIVIDUS

ETRANGERS

 

     

 

LA VILLE

28

29

129

 

LES TEPPES

16

16

81

 

LA ROCHETTE

10

10

48

 

LE BAYET

2

2

8

1

LA MAIRIE

2

2

5

 

L'EGLISE

2

2

6

 

 

60

61

277

1

 

 

1896 Maire Théophile POUX

 

MAISONS

MENAGES

INDIVIDUS

ETRANGERS

 

     

 

LA VILLE

35

35

158

 

LES TEPPES

18

18

76

 

LA ROCHETTE

11

11

49

 

 

     

 

 

     

 

 

     

 

 

64

64

283


 

1901 Maire Emile GONNESSAT

 

MAISONS

MENAGES

INDIVIDUS

ETRANGERS

 

     

 

LA VILLE

34

34

126

 

LES TEPPES

19

19

81

 

LA ROCHETTE

11

11

51

 

 

     

 

 

     

 

 

     

 

 

64

64

258

2

 

1906 Maire Alexandre RAVIER

 

MAISONS

MENAGES

INDIVIDUS

ETRANGERS

 

     

 

LA VILLE

36

36

127

 

LES TEPPES

19

19

72

 

LA ROCHETTE

12

12

61

2

 

     

 

 

     

 

 

     

 

 

67

67

260

2

 

1911 Maire Alexandre RAVIER

 

MAISONS

MENAGES

INDIVIDUS

ETRANGERS

 

     

 

LA VILLE

31

31

129

 

LES TEPPES

21

21

82

3

LA ROCHETTE

9

9

41

 

LE CROIZET

1

1

5

 

LE BAYET

3

3

2

 

 

     

 

 

65

65

259

3

 

1921 Maire Charles GUILLOT

 

MAISONS

MENAGES

INDIVIDUS

ETRANGERS

 

     

 

LA VILLE

35

30

137

 

LES TEPPES

22

20

70

 

LA ROCHETTE

10

10

42

 

ECOLES

1

2

4

 

LE BAYET

3

4

11

1

 

     

 

 

71

66

264

1

 

1926 Maire Gustave CRETET

 

MAISONS

MENAGES

INDIVIDUS

ETRANGERS

 

     

 

LA VILLE

36

33

134

 

LES TEPPES

25

20

77

 

LA ROCHETTE

13

9

43

 

LE BAYET

6

6

19

6

       

 

 

     

 

 

80

68

273

6

 

1931 Maire Gustave CRETET

 

MAISONS

MENAGES

INDIVIDUS

ETRANGERS

 

     

 

LA VILLE

35

31

140

 

LES TEPPES

24

17

67

 

LA ROCHETTE

13

10

48

 

LE BAYET

5

4

15

6

 

     

 

 

     

 

 

77

62

270

6

Sources : Archives de la Savoie et  EHESS pour les nombres retenus jusqu'en 1962, Insee à partir de 1968 (population sans doubles comptes puis population municipale à partir de 2006)