Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

03/01/2013

Le visage de Claudius

003_Claudius Poux.jpgC'ETAIT une aube d'été 44 où la nuit semblait enfin vouloir finir pour donner aux couleurs du matin l'espoir d'un autre temps. Pourtant, la haine suait encore dans les silences coupables et les mots complices. Partout, la botte guettait les ombres, rodait dans les campagnes enflées du secret de ceux qui n'avaient jamais plié. Et puis, il y eut des coups à la porte, des cris, des crachats sur le visage de Claudius arraché à la douceur du jour du petit village de Rognaix en Savoie. Ils l'ont poussé sous les crosses jusqu'à l'hôtel Genet, battu à coups de barres pour que la souffrance livre des noms. Il n'a rien dit parce qu'il n'attendait rien. Rien d'autre que d'avoir la force de marcher sur le chemin des supplices ou des tortures de la nuit. Marcher comme le père le lui avait appris. «Ne plie pas petit, la haine des bourreaux n'est rien face au silence d'un visage qui sourit, marche, petit, n'aie pas peur, nous t'attendrons à l'autre bout du jour.» «Je marcherai, père, je ne dirai rien, mais le jour est trop beau pour mourir.» La nuit tomba dès l'aube. Fallait-il qu'ils aient peur pour mutiler ainsi le visage de Claudius. Plus ils fracassaient, plus ils défiguraient, plus le visage s'éclaircissait. Il savait maintenant qu'il ne dirait rien, rien que des cris arrachés à l'horreur des coups. Ligoté à l'affût d'un canon, son visage tuméfié d'un sang d'encre regardait la montagne. Par moments, dans le répit des violences, revenaient des ombres de visages amis, le feu des embuscades sur les sentiers du maquis, les serments jurés dans la clandestinité de la nuit: «Nous marcherons contre la haine, nous refuserons la barbarie. Amis, ne songeons qu'au bonheur. Plus jamais l'humiliation. A l'orée du futur, nous bâtirons un monde taillé à l'ambition de nos rêves. Une France libre, façonnée par nos mains.» Et toujours les coups. Et les lames enfoncées dans les hanches, les hurlements, la tête frappée sur l'acier. Le visage était blanc, la lumière pâlissait. Dans les yeux vides du jeune FTP disparaissaient doucement les couleurs du pays. Une lente descente vers la mort, sans un mot, dans l'humiliation et l'atrocité au bord d'une tombe qu'ils l'obligèrent à creuser de ses mains. Le crépitement de la mitraillette. Le silence enfin. On a retrouvé son corps deux jours plus tard, à demi enterré dans les sillons fraîchement remués d'un champ de maïs. Il s'appelait Claudius Poux. Il avait vingt-trois ans. C'était une aube d'été. A quelques pas de la Libération.

MICHEL ETIEVENT.

Source: L'Humanité  le 30 Août 1994    http://www.humanite.fr/node/220700

 

poux_claude_en_haut_au_milieu[1].png

A 12 ans en haut au milieu

Les commentaires sont fermés.