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04/01/2013

01 Don de Robert COLLIARD

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Photo MICHEL Philippe le 30/10/2013

 

C'est au début 2008 que l'académie de la Val d'Isère a recueilli ce fond à la demande de M. Robert Colliard.

Né à Rognaix en 1930, aîné d'une fratrie de 4 enfants, Robert Colliard est très tôt orphelin de père.

Après les classes primaires, il poursuit ses études jusqu'au baccalauréat au collège St Paul. Il a toujours été soucieux de l'histoire familiale comme de l'histoire de son village. Il a d'ailleurs publié deux recueils : l'un en 2006, plutôt destiné à sa famille et à ses amis, intitulé : « Voyage à travers le temps : à la montagnette » puis un second en septembre 2008 destiné à tous les villageois et plus largement à tous ceux qui connaissent Rognaix et intitulé : « Sentiers et chemins de notre montagne ».

Enfant, il avait découvert tous ces vieux papiers, enfouis dans un coffre, dans une des chambres de la maison familiale. Sans doute curieux, comme tous les gosses, il avait fouillé sous de vieilles pelotes de lin enroulées sur des bovattes de maïs (pour les non savoyards : des épis de maïs) et avait ainsi découvert « son trésor ». Et en effet la maison familiale pouvait bien receler « des trésors » puisque sa construction date, semble-t-il, de 1642. A l'occasion de travaux la fameuse malle avait ensuite été entreposée dans une grange, avant qu'il ne la récupère il y a 5 ou 6 ans.

Un après-midi d'hiver, notre présidente Lucienne Guillerme et moi-même nous sommes donc rendues au domicile de M. Colliard afin de récupérer les documents concernés. Je me suis engagée à voir de quelle manière je pourrai par la suite exploiter ce fonds.

Il fut entendu, à la fois avec Robert Colliard et avec Lucienne Guillerme, que je resterai un temps dépositaire de ces archives afin de pouvoir travailler plus aisément à leur tri et à leur exploitation.

Et le tri ne fut pas une mince affaire ! Des documents avaient déjà été lus et pouvaient être manipulés facilement. Pour d'autres, ils étaient en vrac, parfois roulés en boule au milieu de la poussière et des excréments de souris. Il a donc fallu travailler sans crainte des salissures, déplier un à un chaque document et choisir de le conserver ou non. Certains avaient servi à alimenter une famille de souris victimes de disette et il n'en restait pas grand-chose, d'autres leur avaient servi de toilettes et l'urine des charmantes bestioles avait totalement dégradé l'encre rendant vaine toute tentative de lecture. J'ai hélas dû détruire au moins une vingtaine de documents beaucoup trop détériorés. Pour les autres, je les ai sommairement dépoussiérés, dépliés et pressés sous un poids afin de leur rendre un aspect « présentable ». Puis j'ai choisi de les classer chronologiquement.

Le document le plus ancien date de 1643 ; pour l'ensemble du 17e siècle il y en a 31. Pour le 18e siècle, il y a 51 documents, pour le 19e : 128 et enfin pour le 20e seulement 6. Ce qui fait un total pour l'ensemble du fonds de 214 documents. A cela il me faudra ajouter une vingtaine de documents que Robert Colliard m'a remis il y a seulement deux jours et que je n'ai pas eu le temps de regarder de plus près.

Tous les documents du fonds sont en français, cependant l'interprétation de ceux concernant le 17ième est plus difficile du fait de l'écriture paléographique. Le langage administratif comme certains mots du vocabulaire de l'époque peuvent également poser quelques problèmes.

La majeure partie du fonds est composée d'actes notariés : testaments, actes d'acquisition de biens, baux, contrats dotaux, actes d'émancipation. Il y a aussi tout ce qui est lié à l'argent : emprunts, remboursements de créances, constats de dettes, etc...

A noter qu'aucun document du 17ième ne mentionne le patronyme « Colliard », mais essentiellement celui de Bozon, de « Regal » et de « Larden ». Ce n'est qu'en 1712 qu' apparaît un contrat dotal dans lequel l'époux est un certain Jean Colliard. Il y a quelques délibérations municipales, quelques extraits de procédures judiciaires, quelques documents de l'administration des bois et forêts, un document militaire (un certificat de dispense définitive du service militaire).

Il y a 9 correspondances privées ( toutes du 19e) : l'une d'un Colliard, soldat sous l'Empire, 7 autres, de membres de la famille, liées à l'émigration à Paris et la lettre d'un voisin également émigré à Paris.

Deux documents de 1888 témoignent à la fois de l'opportunisme commercial de l'époque et nous dirions aujourd'hui « des techniques marketing » du moment. Ils ont trait aux élections municipales de 1888. Une entreprise privée mais dont le nom peut prêter à confusion : « Le mémorial électoral » propose aux nouveaux élus une sorte de « diplôme » à leur nom. Ils le reçoivent directement par la poste, sans aucune demande de leur part. Ce n'est que quelques jours plus tard, qu'ils reçoivent une quittance de 2 F qu'il leur appartient de régler. Il est précisé cependant : « en cas de refus, vous n'aurez qu'à rendre au facteur notre envoi ».

Enfin parmi les documents du 19e siècle, il y a un carnet et une sorte de gros cahier relié. Ces deux documents ont particulièrement retenu l'attention de Robert Colliard qui nous en a signalé l'importance à ses yeux pour une meilleure connaissance d'un de ces ancêtres : Jean Martin Colliard, paysan et garde forestier à Rognaix.

Après le travail de tri, de remise en forme et d'analyse sommaire de tous les documents, restait à savoir comment valoriser ce fonds d'archives. Très vite, j'ai constaté qu' environ la moitié des documents pouvait être rattachés à une même personne, le fameux Jean Martin Colliard qui a vécu de 1787 à 1849. Pourquoi ne pas essayer de retracer la vie de cet homme, né et mort savoyard mais qui, entre temps, fut aussi français durant environ 23 ans, de 1792 à 1815.

Par ailleurs depuis plusieurs années j'avais déjà effectué quelques recherches sur l'histoire de Rognaix tant aux archives départementales de la Savoie qu'aux archives diocésaines de Moûtiers.

Pourquoi ne pas rapprocher l'histoire d'un homme avec l'histoire de son village, et mener ainsi un travail de sensibilisation à leurs racines auprès des rognairains d'aujourd'hui. La petite histoire locale remise dans le contexte général de l'époque peut aussi être un excellent rappel de l'histoire avec un « H » un peu plus grand...

Je vous rappelle que Rognaix est une commune de Basse Tarentaise faisant partie du canton d'Albertville-Sud. Située en rive gauche de l'Isère, elle a une superficie de 898 ha. Jusqu'aux années 1990, sa population n'avait jamais dépassé les 300 habitants mais en presque deux décennies la voilà passée, actuellement, à 430 habitants.

Elle a des confins avec la Maurienne, (commune de Montsapey) par la crête qui part du Jonc (2106m) à proximité du Grand Arc, et arrive au col de Basmont (1791m). En vallée de Tarentaise elle a des confins avec La Léchère (ancienne commune de Pussy) par une limite qui traverse la forêt en suivant des sentiers, ravins et escarpements variés pour arriver dans la plaine de l'Isère qui délimite approximativement la commune avec Feissons-sur-Isère et Cevins. Elle est également limitrophe de St Paul sur Isère.

Ce petit village existe depuis bien longtemps même si, comme le disait l' abbé Delphin Gaide dans un document de 1897 : « La date de l'érection de la paroisse de Rognaix se perd dans la nuit d'une antiquité reculée. L'oubli, si grand receleur de choses humaines passées, garde seul dans son coffret le secret mystérieux de cette date. » Une certitude cependant, la paroisse de Rognaix est mentionnée dans l’acte de partage rédigé par l’archevêque Pierre II de Tarentaise en 1170.

Pour le reste, il semble bien qu'il n'y ait jamais eu à Rognaix ni château ni maison-forte. Aucune famille noble ne s'est jamais installée sur place cependant certaines d'entre elles y ont eu des fiefs.

Les seules ressources de la population villageoise, durant des siècles, provinrent de l'élevage, d'un peu d'agriculture et de la forêt.

A priori, donc, rien qui n'ait un intérêt historique majeur. Pour autant, faut-il se désintéresser du lieu et priver ses habitants d'une meilleure connaissance de la vie de leurs ancêtres ? Pour moi, vous vous en doutez, la réponse est non et l'exploitation du fonds d'archives Colliard est l'occasion de mettre en lumière ce que fut la vie d'un homme ordinaire et d'un village sans histoire de 1787 à 1849.

Jean Martin Colliard, une vie à Rognaix.

En premier lieu, j'ai d'abord cherché à situer Jean Martin dans son contexte familial. Les documents du fonds Colliard donnaient certaines indications qu'il était nécessaire de préciser. Une descendante de Jean Martin m'a aimablement communiqué ses propres recherches que je n'ai eu qu'à compléter.

Pour cela j'ai travaillé exclusivement à partir du site internet des ADS : l'accès en ligne aux documents paroissiaux et d' état-civil est très pratique. Je dois aussi remercier Yvette Fraissard, membre de cette académie qui m'a aidé pour une autre partie de la descendance de notre personnage.

Dans les documents en ma possession, aucun n'a trait véritablement à l'enfance de Jean Martin. On ne peut qu'en deviner les contours à travers les évènements de la vie de ses parents et ce que l'on sait de la vie à Rognaix à ce moment là. Il est le premier garçon de la famille mais il a une soeur de deux ans son aînée. Si aujourd'hui le rang de naissance au sein de la famille n'a que peu d'importance, il n'en est pas de même à l'époque surtout pour les garçons. L'aîné des garçons a l'assurance, si tout va bien, de succéder à son père sur l'exploitation familiale et de pouvoir fonder une famille ; pour les suivants, hélas, beaucoup devront se contenter de rester « vieux garçons » faute de moyens suffisants pour entretenir un foyer.

Jean Martin n'a que 5 ans quand arrive la Révolution. Rognaix compte alors « deux cent trois vingt et treize âmes » soit 273 habitants pour 38 familles. L'enfant n'est sans doute pas conscient des bouleversements et des difficultés que vont traverser les adultes. L'école, qu'avait fondée en 1786 le curé Favre, ferme. Qui va lui enseigner des rudiments de lecture et d'écriture ? Est-ce son père ou bien son oncle ? Et eux-même, qui les a instruits ? Sur les documents concernant son père Martin alors qu'il est encore jeune, il est dit illettré et incapable de signer ; cependant à partir de 1788, il n'appose plus sa marque sur les documents mais sa signature. En 1807, la famille Colliard reçoit une lettre de Claude, l'oncle de Jean Martin. Il est alors caporal dans l'armée napoléonienne d' Outre- Rhin. Le document est intéressant à plus d'un titre. Bien sûr son contenu donne une idée des conditions de vie de ces soldats savoyards loin de chez eux mais surtout il montre de façon concrète que même dans les petits villages et dans une famille plutôt démunie, on parle et on comprend le français. Les connaissances grammaticales et l'orthographe sont sommaires, l'écriture est quasi phonétique mais cependant la communication est possible.

Voici la teneur de la missive : (orthographe améliorée)

A Kal, le 16 juillet 1806

Mon cher, mon très cher frère,

Je vous écris la présente pour vous donner de mes nouvelles de l'état de ma santé vous dire mon cher frère que je me porte bien, pour le présent je vous en souhaite de même que je vous en souhaite la continuation. Je vous demande mon frère que vous me faites l'amitié de m'envoyer d'un Louis ou cinquante francs par le présent courrier. Je suis donc forcé, je n'osais vous le dire, voilà depuis que je suis parti de Strasbourg que je n'ai pas eu de l'argent, je suis très mal habillé. Comme vous savez que j'ai laissé beaucoup de ? à Chambéry croyant de retourner mais comme nous n'avons point d'espoir de rentrer en France de longtemps, l'on murmure tous les jours que nous irons dans la ? ainsi nous sommes pas près d'être payé parce qu'on ne paye aucune troupe dans un pays étranger ainsi je vous prie de point m'oublier. Je vous l'avais marqué sur un petit billet que j'avais mis dans la lettre du nommé Varçin de Blay que l'on touchait pas l'argent mais présentement on le reçoit parce que l'on a établi une poste à (Darmecheta ?) qui est à 10 km de Kal , c'est là ou le facteur va chercher toutes les lettres du bataillon. Rien d'autre cher (frère) à vous dire pour le présent que nous somme toujours nourri chez le paysan et l'on nous blanchi mais très mal et nourri de même. Vous ferez bien des compliments à tous mes parents, à tous ceux qui demandent de mes nouvelles. Je suis toujours avec Varçin et Deschamp, ils se portent tous bien, vous ferez bien des compliments à leurs parents de ma part et de la leur. N'oubliez pas ma chère mère, et l'embrassez pour moi, de me marquer si elle se porte bien.

Monsieur Colliard, caporal à la 2ième division du détachement du 26ième régiment d'infanterie légère ; 1er bataillon, 2ième brigade de la division du maréchal. Armée d' Outre-Rhin à Darmechetat en cantonnement à Kal, Je suis pour la vie votre frère : Colliard Claude, Caporal. L'armée d'Outre-Rhin prépare alors la campagne de Prusse et de Pologne. (Darmechetat = Darmstadt ; Kal = Kahl am Main)

L'année suivante, un autre document nous donne une idée plus précise de l'aspect physique de Jean Martin. C'est le certificat de dispense définitive de service militaire établi à Moûtiers. On y lit que Jean Martin mesure 1 m 66, qu'il a les cheveux roux, les sourcils châtains, les yeux gris roux, un front étroit, un nez régulier, une petite bouche, un menton rond et enfin un visage ovale. Le motif de la dispense est, je cite : « reconnu inapte au service militaire pour avoir une faible complexion ».

Ce même document permet de constater la pauvreté de la famille puisqu'il y est mentionné : « le sieur Colliard Jean Martin ayant justifié qu'il ne paye pas 50 F de contributions par lui-même ou par ses père et mère, n'a été soumis à payer aucune indemnité ». La dispense est définitivement enregistrée à la sous-préfecture de Moûtiers le 1er mai 1809, soit il y a exactement deux siècles.

A partir de ce moment là, les documents concernant Jean Martin vont se multiplier et l'on va trouver d'abord un premier petit carnet de fabrication artisanale, les feuilles en ont été reliées par une simple couture avec une fine ficelle.

Les premières pages du carnet sont des copies de chansons, il y en a 8 dont trois traitant de l'actualité du moment. L'une d'elle raconte une partie de cartes entre deux frères : Napoléon et François (entendez par là, l'empereur d'Autriche). La partie se termine évidemment par la victoire de Napoléon qui conclut :

« Vous avez perdu, je vous jure, Voilà mon jeu, soyez témoin, J'ai trois atouts, je vous assure, Vous perdez le cinquième point. La partie enfin je vous gagne, Du sort je suis le favori, En triomphant de l'Allemagne, Le triomphe est mon jeu chéri. »

Et sous cette copie, Jean Martin a inscrit « Napoléon par la grâce de Dieu et de la République Française. »

La seconde chanson « engagée » parle de la prise de Vienne par les soldats français, voici les

couplets 3, 4 et 5.

3) « A Noël, et sans façon, sans que rien ne nous gêne, avec du bon saucisson, nous ferons le réveillon, à Vienne, à Vienne....

4) Au nouvel an, sans François, nous aurons bonnes étrennes. A présent comme autrefois, nos guerriers seront les rois, à Vienne, à Vienne...

5) Tout en mangeant de l'aloyau, Napoléon sans gêne veut avant d'aller sur l'eau tirer sa part du gâteau, à Vienne, à Vienne... ». La dernière chanson parle d'un soldat démobilisé racontant sa joie du retour chez ses parents.

La copie de ces chants semble indiquer que le jeune Jean Martin, comme son frère et comme son cousin du même âge qui ont eux aussi annoté le carnet, a une admiration certaine pour Napoléon.

Le reste du carnet paraît avoir eu deux fonctions : d'une part s'entraîner à l'écriture et donc recopier des tournures de phrases ou des lettres types et d'autre part une petite partie « livre de comptes ».

L'autre pièce importante du fonds Colliard est une sorte de gros cahier, lui aussi relié assez grossièrement. Sa couverture est un vieux parchemin doublé d'autres vieux papiers. La page de garde porte la mention « Livre de comptes pour 1810 fait pour moi, Colliard, fils de Colliard Martin, laboureur et domicilié de la commune de Rognaix. Je prie à tous ceux qui le trouverait de me le rendre, à moi Colliard Jean Martin ».

Mais comme le carnet, il garde aussi une fonction d'entraînement à l'écriture avec également des copies de lettres types (y compris de lettres d'amour...). On y trouve notamment la copie d'une lettre qui semble circuler dans la vallée (je l'ai déjà vue dans une famille de Pussy) et intitulée « lettre pour te conseiller à te marier » où bien sûr l'auteur vante les vertus du mariage : « Rien n'est plus heureux que de passer ses jours avec une épouse qui nous a fait don d'elle-même, et qui est disposée à remplir tous les devoirs attachés aux noeuds qu'elle a formés. » C'est son cousin Jean qui a recopié la lettre et appose sa signature au bas.

Il y a également des exercices de calcul.

On y trouve encore la copie d'une convention qu'il a passée avec un maçon de la commune voisine pour la construction d'un grenier. Les modalités de cette construction sont bien détaillées, il n'est pas courant que parviennent jusqu'à nous autant de renseignements sur un modeste patrimoine de village. Enfin, il fait parfois référence à ses tâches quotidiennes et l'on voit qu'à son travail de paysan et à sa fonction de garde forestier s'ajoute celle de charpentier menuisier. En fait, suivant les commandes, il fournit aussi bien des pièces de charpentes, du plancher, des fenêtres, des meubles mais aussi tout objet en bois de la vie courante : seilles, cornues, socons, etc...

Ce cahier correspond à une période de plusieurs années, au moins une dizaine. Des feuillets sont restés vierges tandis que d'autres ont été utilisés beaucoup plus tardivement à la fin du 19ième, par un de ses descendants.

Parmi les autres documents du fonds, il y a une lettre de Jean Martin. En 1813, alors qu'il tente sa chance à Paris, il écrit à son oncle resté à Rognaix. On y devine sa déception et son mal du pays, toutes ses économies lui ont été volées, ce qui l'a rendu malade. Il est mal payé. Sachant que ses parents vivent sous le même toit que son oncle, il termine ainsi sa missive: « Je finis en vous embrassant du plus profond de mon coeur, père et mère de mérite et mon oncle et père de coeur, je suis avec honneur votre neveu pour la vie. »

Il se marie en 1815 avec une fille du pays, c'est d'ailleurs à ce moment là que sur proposition du conseil de Rognaix, il est nommé garde forestier par l'intendant de Tarentaise.

En 1817, année particulièrement difficile sur le plan économique et où l'on voit réapparaître le spectre de la disette, son frère Joseph émigre à Paris. Mais pour ces jeunes gens qui jusqu'en 1815 avaient sans doute le sentiment d'être français, voilà que Paris c'est l'étranger. Joseph ne va pas y faire fortune mais plutôt risquer de s'y perdre. Il se met à jouer et poussé par le besoin il vole le patron chez qui il est domestique.

Trois lettres témoignent de cet épisode malheureux. L'une écrite par un rognairain émigré qui prévient la famille en décembre 1823 puis deux autres en août 1824 : l'une de Joseph lui-même et l'autre du cousin Jean Tétaz que j'ai déjà évoqué. Grâce à une très forte solidarité familiale permettant de rembourser ses dettes, Joseph évitera les galères, mais de justesse, ainsi que l'indique son cousin dans sa lettre: « je vous assure qu'il y a bien des gens de nos pays qui ne croyaient pas que je puisse le sauver »...

Jean Martin Colliard et son épouse vont avoir 11 enfants dont 5 mourront en bas âge. A 46 ans, atteint par des problèmes de santé et notamment une surdité sévère, Jean Martin est contraint d'abandonner son poste de garde forestier.

Il meurt le 3 février 1849, il a 62 ans. La plus jeune de ses filles n'a que 11 ans. Sa veuve, Marie Louise, lui survivra durant 15 ans.

Je ne vais pas ce soir vous en « raconter » plus sur Jean Martin. Ce que je viens de vous en dire était avant tout une façon de vous présenter concrètement l'intérêt de certains documents du fonds Colliard. La saga de cette famille pourrait sans doute être poursuivie puisque actuellement un cousin de Robert Colliard possède un complément de ce fonds avec des documents à partir des années 1840.

Je voudrais également insister sur l'importance du croisement des données avec celles venant des différents autres services d'archives : départementales, diocésaines ou communales. La connaissance des principaux faits historiques de la période concernée permet aussi de donner du relief à des évènements familiaux semblant parfois anecdotiques. Abordé de cette façon, le départ de Joseph Colliard à Paris en 1817 et les péripéties qui s'en suivent, illustrent bien le contexte économique et sociologique des premières années de la restauration sarde.

Je ne vais pas épiloguer trop longtemps, mais on pourrait s'attarder sur les différentes monnaies ou unités de mesure que l'on relève au fur et à mesure de l'examen des documents et qui témoignent des bouleversements et des efforts d'adaptation dont ont dû faire preuve les populations locales. L'étude du fonds Colliard montre encore le fonctionnement et la hiérarchisation du groupe familial et par groupe familial j'entends aussi bien la famille au sens restreint : « père, mère, enfants », mais aussi au sens large : grands-parents, oncles, neveux, cousins...

Après cela, si vous avez envie d'entendre toute la « véritable histoire de la vie de Jean Martin Colliard à Rognaix », je vous invite à la conférence que je donne ce vendredi 15 mai à 18 h à la salle

polyvalente de Rognaix.

 

Evelyne BLANC Mai 2009.

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Photos MICHEL Philippe le 30/10/2013

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