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18/01/2013

Portrait d'Alexandrine, par Florence Hurard

Le beau chemin d'Alexandrine (fille de Gustave CRETET, ancien Maire*)

Entre murs de pierres et vergers patinés, Alexandrine Blanc a vu le jour le 16 septembre 1925 "Au Petit Balcon" dans les clairs d'aubes qui se dessinent sur le Rocher de la Dent. Elle fréquenta l'école du village jusqu'à son certificat d'étude puis elle grandit au gré des émotions enfantines.

Son père qui à l'époque était maire de la commune et ouvrier d'usine n'avait guère de temps à consacrer à sa famille.

Eh voilà ! il fallait des bras pour seconder la mère qui devait tout assumer, les champs, la fauche des prés, le récurage du fumier, la traite, la montée des vaches au printemps vers les lueurs de la montagnette de la Culaz, "l'emmontagnée" à  une portée de pas dans la vallée sauvage de Basmont.

C'était là son univers dans le petit village de Rognaix qui avait comme tant d'autres les rigueurs d'une enfance de terre.

La jeunesse effleurant ses vingt ans, il fallait partir de la maison pour cause de marmites à faire bouillir dans la nécessité.

Elle se  retrouva comme vendeuse et domestique dans la boulangerie Darley à Moutiers. Je ne comptais plus mes heures "Mondje !" que c'était dur.

C'est alors qu'au crépuscule d'un soir, elle rencontra François. "Il m'emmenait danser, boire un sirop en discutant de notre avenir. Les sorties étaient difficiles car déjà les douleurs de la guerre frémissaient et j'ai dû revenir au pays ou l'on s'est mariés"

Puis, viendra la boulangerie à Cevins, entre farine, douceurs suaves et craquantes des pains.

Les enfants à élever, la vie s'écoulait doucement au rythme des saisons jusqu'au jour ou François dû abandonner le métier la farine avait rongé ses poumons ! "Il reprit le chemin de l'usine comme mon père jusqu'aux portes de la retraite".

Alexandrine a ainsi porté à bout de bras le quotidien d'une vie de durs labeurs.

De nos jours, elle continue à bichonner son jardin, toujours penchée vers l'ocre de la terre. Au soir venu, chacun peut la voir assise sur son balcon, flirtant avec les nuages au cœur des dernières courses du soleil sur la montagne de la Tètaz.


* précision MICHEL Philippe

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07/01/2013

ROGNAIX, Village du martyr F.T.P. Claudius POUX

Le capitaine Claudius POUX, trahi par un habitant de son village, est mort après d’horribles tortures : ligoté à l’affût d’un canon, ses membres furent cassés et ses joues transpercées. D’une force de caractère peu commune, il a tout supporté sans dire un nom de camarades.

 De concert,  le 9 juin 1944, le Sous-préfet d’Albertville appelle par voie d’affichage dans les communes de sa « dépendance », au retour dans leur foyer des hommes réfugiés dans les montagnes, sans risque d’arrestation par les Allemands. De même, le Lieutenant-colonel DE VERGEZAC, alias LADEIGNE, donne l’ordre aux patriotes de rentrer chez eux. Une preuve de plus qu’un homme libre ne doit pas obéir aux ordres qui vont contre sa liberté. Comment ont-ils pu être si crédules ces « braves hommes » ? On ne va pas nous faire croire  qu’ils ont participé aux pièges tendus par la Gestapo, on ne va pas leur faire cette insulte, bien sûr.

 Alors pourquoi ? N’avaient-ils pas encore assez de preuves, ces hauts personnages, pour ainsi amener des hommes comme Claudius à se faire piéger ? Ah ! Comme il avait raison le Capitaine F.T.P. CALDERINI  quand il a tout fait pour empêcher Claudius de descendre du chalet des « Mouilles » à son village de Rognaix où la trahison l’attendait. Il aurait dû l’assommer pour la nuit ou le lier avec une corde à un pilier du chalet pour l’empêcher de commettre cette folie. BOULON n’avait pas spécialement ces procédés et je ne peux l’en blâmer. Mais il avait vu clair et se doutait bien que les Boches ne pouvaient devenir « gentils » d’un seul coup. Je suis heureux en tout cas pour lui qu’il ait tenté le maximum pour retenir Claudius.

 Le destin est ainsi. Au soir du 13 juin 44, en compagnie de GUILLAND Albert, F.T.P. comme lui, Claudius se met en route pour la descente sur Rognaix, passant par « Savouille », le pont sur le Bayet. Arrivant à Prabavon, Claudius quitte son blouson « Jeunesse et Montagne » et le cache sous un rocher. Albert viendra, en juillet, récupérer le blouson de son chef vénéré. Albert m’a dit récemment qu’il se souvient n’avoir jamais vu Claudius si méfiant. « Tout au long du chemin qui mène à Rognaix, Claudius est resté derrière moi, regardant de tous cotés, lui qui était toujours en tête quel pressentiment éprouvait-il ? Je l’ai su plus tard, hélas ! »…..Parvenu à Rognaix, Claudius rentre chez son père et Albert rentre à la Rochette en vélo.

 Le lendemain matin, 3h30 environ, le drame commence. Des coups violents secouent la porte et une patrouille boche bien armée se saisit de Claudius et lui ligote les mains dans le dos. La patrouille repart et un peu plus haut dans le village, réveille de la même façon Léon et Fernand MERCIER, peu après Pascal MARCEL et, chose étrange, Eugène CRETET qui, s’il n’a jamais fait d’opposition aux précédents nommés, n’est pas F.T.P. Ensuite la patrouille monte jusqu’aux « Teppes » et se saisit de COLLIARD Elie qui vient de dire récemment qu’il ne voulait pas coucher chez lui, mais des copains lui ont dit que ça ne risquait rien, alors. Et voilà !

La patrouille se dirige vers St-Paul à l’hôtel GENET où est installé la Kommandantur depuis le 10 juin…ça n’a pas trainé pour le traître. Les six hommes, tous ligotés les mains dans le dos, arrivent dans la cour de l’hôtel et sont attachés au canon qui est en poste juste au-dessus de l’hôtel.

Tous les hommes amenés passeront un à un à l’interrogatoire devant un agent de la Gestapo taillé comme un géant. Celui qui tortura Claudius à St-Paul s’appelait Capitaine Froelitch. Dans les couloirs, ils retrouveront Gilbert VARCIN, F.T.P. comme eux, qui a « dormi » dans un couloir de l’hôtel. On l’a « ramassé » la veille au soir à Cevins sans papier sur lui. Plus tard, Gilbert leur dira qu’il a vu arriver un homme dont il se méfiait depuis longtemps et s’est dit que cette fois il était foutu.

 Le 15 juin, dans la matinée, un cultivateur venu pour travailler dans son champ, verra de la terre fraîchement remuée au bout de sa parcelle, sous le chemin de Rubellin, qui longe l’Isère à cet endroit. Il a vite compris qu’un corps humain  était là car il était à peine recouvert, le pauvre corps de Claudius, avec toutes les traces de ses tortures.

 Après avoir beaucoup insisté, les parents obtiendront que son corps soit amené au cimetière de Rognaix. Mais ce seront les Boches qui accompliront ce travail de nuit et sous bonne garde.

 Aujourd’hui, une stèle taillée dans le granit du « Bayet » par RIGOTTI Auguste, ancien F.T.P. et décédé à ce jour, rappelle à ceux qui passent, qu’ici un corps torturé a été enterré par les Boches.

 De plus un lotissement, construit il y a quelques années, porte le nom de « Lotissement  Claudius poux ». Ces réalisations sont l’œuvre en particulier de Marcel ROCHAIX, ancien F.T.P. lui-même et qui a bien connu Claudius dans sa jeunesse.

 

Résumé sommaire de l’action de Claudius (les sources manquent)

 8 mois en Chantier de Jeunesse, réfractaire S.T.O., crée un « triangle » avec BLANC Joseph et HENRY Maurice, de St-Paul. Il agira beaucoup en Maurienne en sectoir Coise et Aiguebelle, en passant par le Col de Basmont.

En Tarentaise, actions de sabotage avec SAPIN en multiples occasions, légèrement blessé par une sentinelle boche après un sabotage à l’usine de Plombière, il échappe le même jour à une embuscade boche à Aigueblanche. Pravis, montagnette où son père possédait un chalet, était devenu sa base arrière qui servit souvent de « havre de Paix » durant les replis tactiques.

 Merci de ton exemple Claudius, et Gloire à toi. De la part de tes anciens camarades.

 

 Témoignage du « MATAF » (Jean LASSIAZ), beau-frère de Claudius POUX 

 Dans la matinée du 14 juin 44, le père de Claudius avait apporté de la nourriture pour son fils arrêté vers 3h30, le matin. Les boches refusèrent la demande du pauvre père qui vit son fils déjà marqué de coups. Claudius, alors lié au canon dit à son père : « tu me parles de manger, je ne peux même pas aller pisser ». Fernand MERCIER qui était également attaché au canon demande à ses bourreaux de pouvoir emmener Claudius aux toilettes. Les boches acceptèrent et, vers les toilettes, la sentinelle délia les mains de Fernand mais pas celles de Claudius. Fernand dut ouvrir la boutique du pantalon de Claudius et l’aider à assouvir ce besoin naturel. Claudius dit tout bas à Fernand : « Pour moi, je suis foutu, ils veulent ma peau, mais si vous vous en tirez, jure moi de faire tout ton possible pour que le traître ne puisse plus nuire »…….

 

 

 Source : Livre de Roger et Pierre CALDERINI

RESISTANCE

3 ème SOUS-SECTEUR  (TARENTAISE – SAVOIE)

1 er Bataillon F.T.P.F.

Compagnies 92-07, 92-09 et 92-12

Recueil de témoignages

2 ème édition 1991

 

Réécrit par Philippe MICHEL le 7 janvier 2013 pour mettre en ligne

11:19 Publié dans POUX Claudius | Lien permanent | Commentaires (0) |

F.T.P = Francs Tireurs Partisans Français

 

 

 

F.T.P = Francs Tireurs Partisans Français

Le parti communiste Français fut à l’initiative de l’organisation de résistance F.T.P. En Tarentaise, l’absence d’Auguste Mudry, de Bellentre, ouvrier électricien  à l’entreprise Chevallier de Moûtiers, qui fut arrêté en mars 1940 à cause de son appartenance politique et libéré seulement en 1943, fut durement ressentie.
Ne pouvant revenir en Savoie, il entra dans la Résistance F.T.P en Haute-Savoie et termina (sous le pseudonyme de Colonel Martin) comme responsable interrégional des F.T.P pour la Savoie, la Haute-Savoie, l’Isère, la Drôme et les Hautes-Alpes.

Cependant dans la vallée, deux groupes restreints F.T.P se forment, fin 1941 –  début 1942 :
- l’un à Saint Paul sur Isère autour de Joseph Blanc avec Jules Blanc et Maurice Henry,
- l’autre à Aigueblanche autour d’Auguste Tornier avec Edmond Rochaix, Francisque et Alfred Ruffier et Émile Bertrand.
   
La mort d’Auguste Tornier le 11 novembre 1942, freine l’organisation des F.T.P.  Pour des raisons de sécurité, tous les F.T.P sont sédentaires et adoptent la tactique de guérilla. Le premier pylône de haute tension est abattu à Feissons sur Isère le 12 mars 1943 et sera suivi de nombreuses actions de sabotage et d’embuscades jusqu’à la Libération.
  

Mais la répression des troupes allemandes est sévère. Claudius Poux, de Rognaix, adjoint du 3ème sous-secteur F.T.P, dont le responsable estEdmond Rochaix (Capitaine Sapin), est arrêté sur dénonciation et fusillé le 15 juin 1944. Il est remplacé par Emile Bertrand.

 Edmond Rochaix est arrêté à son tour le 10 juillet 1944, enfermé au Château de Bressieux. Relâché quelques jours plus tard, ordre lui est intimé par le commandement supérieur F.T.P de quitter la Tarentaise pour la Maurienne (pour sa mise en sécurité).
 

 Le 3ème sous-secteur F.T.P de Savoie (Albertville, Ugine Tarentaise) est donc sous la responsabilité, début août 1944, de Émile Bertrand, Maurice Henry, Louis Pivier et Marcel Caldérini.

Louis Pivier (dit Beauregard) prend le commandement du 3ème bataillon F.T.P pour le secteur Ugine – Albertville , et devient l’adjoint du Capitaine Bulle dans le Beaufortain.
 Marcel Caldérini (dit Boulon) prend le commandement du 1er bataillon formé avec :
- la Compagnie 92 – 07 (Basse Tarentaise) 125 hommes,
- la Compagnie 92 – 09 (Moûtiers. Bozel. Aime. Bourg Saint Maurice) 132 hommes,
- la Compagnie 92 – 12 (Feissons sur Isère, Aigueblanche) 135 hommes.

 Ces trois compagnies participent aux combats de la Libération de Tarentaise et de Haute Tarentaise. La plupart de ces volontaires s’engage pour la durée de la guerre pour former, avec l’Armée Secrète, le Bataillon Savoie qui deviendra plus tard le 13ème B.C.A.

 

Source : Blog résistance-tarentaise 

 

 

 

 

 

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03/01/2013

Une vie à ROGNAIX

JEAN MARTIN COLLIARD

1787-1849

UNE VIE À ROGNAIX 

Nous allons commencer cet exposé par l'évocation d'un événement plutôt sympathique : un mariage. Celui d'un Rognairain : Martin Colliard avec Étiennette Tétaz, Saint-Paulaine, du Villard.

Ce mariage a lieu le 6 novembre 1783, à Rognaix. La cérémonie se déroule simplement, à l'église. Nous sommes avant la Révolution, la tenue des registres d’état-civil ne relève pas d’un officier public-le maire- mais du curé. Il en sera ainsi jusqu’en 1860. Naissances, mariages et décès ne laissaient traces que dans les registres paroissiaux.

Mais revenons à notre mariage. Le marié est âgé de 21 ans, la mariée de 29 ans, tous deux sont illettrés. Une semaine auparavant, le jour de la Toussaint, en début d'après-midi, on s'est réuni au Villard, dans la maison natale d' Étiennette, pour rédiger le contrat dotal de la future mariée. Elle apporte une dot de 300 livres de Savoie ; selon l’usage cela doit « aider le mari » à supporter plus facilement la charge du mariage. On donne immédiatement 100 livres au jeune homme, pour le reste, il devra attendre. Attendre longtemps peut-être, puisqu'il n'est pas rare que le solde de la dot ne soit versé qu'au moment de la succession suivant le décès du père de la mariée. En attendant, chaque année, Martin percevra les intérêts de cette dot, au taux de 4 % l'an, soit 8 livres. Étiennette a également un trousseau d'une valeur de 80 livres. Martin apporte à sa future épouse une somme de 190 livres que l'on appelle l'augment de la dot. C'est la coutume. Cet augment représente généralement la moitié des apports de la future : ici 300 livres de dot, plus le trousseau d’une valeur de 80 livres, soit 380 livres dont la moitié est bien : 190 livres. Vous l'avez compris, la monnaie en cours est la livre du Piémont. (1 livre = 20 sols ; 1 sol = 12 deniers).

Martin est l'aîné d'une fratrie de 6 enfants (4 garçons, 2 filles). Son père, Eusèbe, est mort quelques mois avant le mariage, en février 1783, âgé seulement de 44 ans. Martin a donc le statut de chef de famille. C'est une lourde charge, son plus jeune frère n'a que 9 ans. Martin est propriétaire en indivision avec ses frères, de tous les biens paternels (car son père a dû mourir intestat). En propre, il possède seulement une treille, située aux Contamines, que lui a léguée sa grand-mère (qui était aussi sa marraine).

Étiennette est la seconde d'une fratrie de 8 enfants. Il est probable que ses parents ne l'ont pas poussée plus tôt au mariage, car ils avaient besoin d'elle pour s'occuper des plus jeunes. En effet, sa mère, née Marie Glaisat Blanc, a eu son dernier enfant alors que Étiennette avait déjà 21 ans. Peutêtre même envisageaient-ils qu'elle reste vieille fille. Seulement voilà ! Étiennette s'est laissée séduire par Martin, elle en a même eu un enfant illégitime : Bernard, né le 16 juillet et mort 15 jours plus tard. Étiennette sait parfaitement tenir une maison et connaît le dur labeur des paysannes de son temps. Elle va pouvoir seconder efficacement son jeune époux. Compte tenu du contexte : le décès encore récent du père du marié, et la naissance d'un enfant hors mariage mort rapidement, le mariage ne donne pas lieu à une fête.

Voilà donc notre jeune couple, Martin et Étiennette, s'installant dans la maison familiale de Rognaix où ils cohabiteront quelques temps avec les frères et soeurs de Martin. Puis ses soeurs se marieront, et ne resteront que Hippolyte et Claude, vieux garçons. Par contre, elle n'aura pas à subir la mainmisede ses beaux-parents dans sa vie quotidienne. En effet, comme on l'a dit précédemment, son beau-père est mort et sa belle-mère va rapidement se remarier avec un dénommé Jean François Forestier qu'elle va suivre à Pussy, avec Pierre son plus jeune fils.

Après deux ans de vie commune, Étiennette donne naissance à une fille prénommée Marie. Je n'ai, par la suite, trouvé aucune trace de cette petite, ni dans les registres paroissiaux, ni dans les papiers de famille. Je pense qu'elle est peut-être décédée dans les jours qui ont suivi la naissance. Cette hypothèse est confortée par la naissance d'une seconde fille, Martine, très exactement 9 mois plus tard. Or, à l'époque, les femmes allaitaient et les naissances étaient généralement espacées de 2 ans, sauf, justement, lorsque le nouveau-né décédait rapidement.

Heureusement pour le jeune couple, Martine est un bébé en bonne santé qui va profiter pleinement du lait maternel durant au moins une dizaine de mois. Une fois le sevrage de l'enfant intervenu, le cycle habituel de la vie reprend son cours et voilà bientôt Étiennette, de nouveau enceinte. Nous sommes en 1787, Étiennette sait que ce nouvel enfant naîtra à la fin de l'année. Ce n'est pas plus mal. Certes, il fera froid et il faudra bien protéger le nouveau-né mais, pour les parents, le labeur sera plus léger.

Fin décembre, les travaux des champs sont terminés et, surtout, c'est le temps du cycle de Noël : 12 jours allant du 25 décembre au 6 janvier. On améliore alors un peu les menus quotidiens. C'est, aussi, le temps des veillées : à la lueur des « cruéjuts » et du feu de cheminée, on chante « chalande », Noël en patois.

Mais quand naîtra-t-il cet enfançon ? Finalement il arrive le lendemain de Noël. Étiennette accouche chez elle, comme d'habitude, assistée d'une Rognairaine faisant office de sage-femme. Cette dernière n'a pas de connaissance médicale, mais elle sait quoi faire en cas de menace de mort imminente du bébé. Car, c'est ce que craignent, avant tout, les parents, que leur nouveau-né meure sans baptême. Bien sûr, on a prié St François de Sales, peut-être même a-t-on mis sur le ventre de la parturiente une relique du saint (en fait il s’agissait généralement d’une étoffe ayant touché une relique du saint, qui devenait ainsi relique elle-même !). St François de Sales est le patron des femmes en couches. Mais rassurons-nous, cette fois-là, tout va bien. Les parents sont radieux : voici leur fils premier-né : Jean Martin.Le Jean Martin dont je vais vous conter la vie.

Dans les 3 jours qui suivent sa naissance, très exactement le 28 décembre 1787, jour des Saints Innocents, on le baptise à l'église de Rognaix. Oh ! La cérémonie est toute simple : le curé Jean Baptiste Favre, un enfant de choeur, le père, le parrain : Martin Collombier, la marraine, la voisine accoucheuse et voilà tout. En guise de cadeaux, Étiennette et Martin ont sans doute eu quelques oeufs et du fromage. La mère est restée à la maison. Il lui faudra attendre la cérémonie des « relevailles » pour retrouver le chemin de l'église.

La famille Colliard, comme toutes les familles de Tarentaise à cette époque, est très croyante. Le soir, avant de coucher Jean Martin dans son berceau, sa maman lui fredonne une petite comptine, comme celle-ci par exemple : « nez carcan, bouche d'argent, menton fleuri, l'enfant rit » puis elle trace sur son petit front le signe de la croix. Lorsqu'il ne tiendra plus dans son « bri », soit, il dormira entre ses parents soit, il rejoindra le lit de sa soeur Martine. Les premières bouchées de nourriture solide qu'il mangera seront pré-mâchées par sa maman. Jusqu'à 3 ou 4 ans, il sera vêtu d'une robe, comme sa soeur.

Pour Martin, le père, il faut maintenant penser à accroître le patrimoine de la famille, d'autant qu'au fil du temps, d'autres enfants vont naître : Joseph, Suzanne, Josephte. En 1785 déjà, il avait acheté 1/3 d'une grange et 1/6 d'une masure, situées à La Ville. En novembre 1788, grâce à un emprunt de 100 livres à Jean Antoine Péronnier, il achète, toujours à La Ville, et contiguës à ce qu'il a déjà, une maison et la place devant, appartenant à Claude Gonessat. Le même jour, mais en indivision avec ses frères, il achète une pièce de vigne.

1790 est une année de grosses dépenses, il a décidé de construire une nouvelle maison, pour cela il demande l'autorisation de couper 80 sapins dans la forêt communale, ce qui lui est accordé. Avec la participation de ses frères, il doit aussi verser la somme de 200 livres pour la dot de sa soeur Jeanne. Martin et Étiennette, qui ne savent ni lire ni écrire, aimeraient bien que leur fils Jean Martin aille à l'école. A Rognaix, c'est possible depuis 1786. Le curé Favre en a ouvert une aux Teppes qui fonctionne pendant 4 mois l'hiver. On y apprend d'abord à lire, puis à écrire et à compter. L'apprentissage se fait en français, mais on travaille aussi un peu de latin. L'enseignement est sommaire : il s'agit juste de faciliter le quotidien des gens. Parler français est indispensable lorsque l'on a besoin d'aller travailler ailleurs. Si l'on apprend à rédiger une lettre manuscrite et à la lire, c'est quasiment en phonétique. L'enseignant n'insiste pas sur l'orthographe ou la grammaire.

L'enfant débute sa scolarité vers l'âge de 6 ans, elle s'achève vers 10/11 ans. L'absentéisme est fréquent, l'aide aux travaux familiaux est toujours privilégiée. Jean Martin aurait dû commencer l'école durant l'hiver 1793/1794, mais tout ne se passe pas comme prévu. 

Depuis le milieu des années 1780, on sait qu'en France souffle un vent de révolte. Cela entraîne des répercussions économiques jusque dans les plus petits villages de Savoie. L'émigration a fortement ralenti, partir sur Lyon ou sur Paris devient hasardeux. De nombreuses familles se trouvent donc privées de ressources peut-être peu élevées mais fort précieuses. La vie dans les campagnes est de plus en plus difficile.

En 1790, une cinquantaine d'émeutes secouent la Savoie. En 1792, il y a « deux cent trois vingt et treize âmes » à Rognaix, soit 273 habitants pour 38 familles. 5 Rognairains vivent à Paris. Une famille Saint-Paulaine est venue s'installer là depuis trois ans, il y a aussi 2 Tignards, et une veuve, de Suisse, avec son fils.

En août 1792, les autorités demandent aux Rognairains de livrer plusieurs dizaines de quintaux de foin pour soutenir la cavalerie de l'armée de Savoie. Cela ne présage rien de bon. Fin septembre 1792, les Français envahissent le pays, plutôt pacifiquement d'ailleurs ; les soldats ont reçu l'ordre « de respecter comme des frères les habitants de la Savoie » . Savoie qui devient le 84ème département de la République sous l'appellation de département du Mont-Blanc. Jusqu'au mois de janvier 1793, tout se passe assez bien. De plus, Rognaix est à l'écart de la route provinciale Conflans-Moûtiers sur laquelle circulent différents bataillons de l'armée des Alpes : les hommes risquent donc moins d'être réquisitionnés au service de cette armée, contrairement, par exemple, aux Bathiolains. Néanmoins, les Rognairains sont soumis, comme les autres, à l'approvisionnement en nature des troupes et, notamment, en fourrage pour les animaux.

A partir de février 1793, l'état d'esprit change. La constitution civile du clergé est mise en place. Jean Baptiste Favre, le curé, prête serment. Mais en septembre, il abandonne brusquement son poste et émigre, probablement menacé par les révolutionnaires. Plus question d'école à Rognaix.

En mai 1793, on exige de Rognaix, comme de toutes les communes, de recenser tous « les garçons et veufs sans enfant, depuis l'âge de 18 ans jusqu'à quarante ans ». Cela doit permettre de nommer « des volontaires » qui intégreront l'armée des Alpes « le temps nécessaire pour sauver la patrie en danger ». Rognaix n'a sans doute eu à fournir qu'un ou deux volontaires, ils pouvaient être soit désignés de force, soit élus ou, encore, tirés au sort.

Durant l'été 1793, pas question que Jean Martin accompagne son père et sa mère au Villard de Saint-Paul, comme il le fait habituellement. En effet, la guerre est là, les troupes piémontaises sont de retour. En se retirant, les troupes françaises commettent des exactions : à Saint-Paul, elles détruisent tout ce qui se trouve au presbytère. Mais les Piémontais vont vite devoir repartir de l'autre côté des Alpes.

En novembre 1793, les cloches des églises sont confisquées. Je n'ai pas trouvé à quelle date précisément les Rognairains ont livré les leurs à Conflans. La municipalité est aussi chargée de désarmer la population aussi bien de ses armes à feu que des sabres. Le résultat est sans doute le même qu'à Saint-Paul, personne n'a d'armes, pas plus la famille de Martin Colliard que les autres.

En avril 1794, celui que l'on nommera le « terrible Albitte » décide de réorganiser la province de Tarentaise. Rognaix devient Belle-Arête et ne va plus former qu'une seule commune avec Saint-Thomas, Blay et Saint-Paul. Cette nouvelle commune portera le nom révolutionnaire de Saint-Paul : Du Passage. Il est prévu que seule subsiste l'église de Saint-Paul, jugée bien suffisante pour les 1026 habitants de la nouvelle commune qui va dépendre du canton de Roc Libre : Conflans. Le calendrier aussi change, de grégorien il devient républicain : le 3 avril 1794 est en fait le 14 Germinal An II.

En 1795, on change de monnaie : le franc remplace la livre. Heureusement ils sont de valeur à peu près équivalente, une livre vaut 0,987 francs.

Jean Martin grandit donc dans une période troublée : pas d'école, pas de vie religieuse (du moins officiellement), plus de messes, plus de processions, plus de cloches rythmant la journée ou prévenant des dangers. On finirait par croire que l'on ne sait plus où l'on habite : 

« - Demain nous allons à la foire à Mont-Salin ! − C'est quoi ça, Mont-Salin ?

− C'est Moûtiers. − En revenant, on s'arrêtera chez les cousins aux Charmilles. − C'est quoi les Charmilles ? − C'est Feissons-sous-Briançon. »

On voudrait nous faire croire que même le temps qui passe n'est plus le même. Chaque mois n'a plus quatre semaines mais trois décades...

Chez les Colliard, comme chez leurs voisins, on sait faire le dos rond. Si cela fait plaisir aux nouveaux venus, faisons semblant mais, entre nous, ce n'est pas demain la veille que l’on va adhérer à ces bêtises... Rognaix, c'est Rognaix ! Le poids des habitudes est le plus fort, le nouveau nom de Belle-Arête n'est quasiment pas utilisé, les églises restent à leur place, même si l'on a bien dû se résoudre à détruire la partie haute du clocher, toujours à cause de cet abominable Albitte.

Tout cela n'empêche pas d'espérer, malgré tout, un monde nouveau, plus juste et moins dur à vivre. Les idées nouvelles, tout doucement, vont faire leur chemin dans les mentalités. 

Les documents du « fonds d'archives Colliard » ne donnent pas d'indication précise sur l'enfance de Jean Martin. On ne sait pas quand une petite école se remet en place à Rognaix, ni à quel moment Jean Martin va la fréquenter. On ne sait rien non plus de son adolescence. Elle est, sans doute, conforme à celle de tous les jeunes montagnards de l'époque : le rude apprentissage de la vie de paysan. Les foins, les animaux, le fromage, la montagne, un peu de culture, le bois, peut-être aussi le charbon. A Rognaix, en été et à l'automne, on produit pas mal de charbon de bois. Et comme la vie est difficile, il faut s'entraider, on prête bien souvent ses bras aux autres familles du village, on donne un coup de main à la famille Tetaz, du Villard de Saint-Paul.

Grâce à un rapport du curé Favre à l'évêque, nous savons qu'en 1802 Rognaix est composée de trois villages : La Rochette avec 6 familles, Les Teppes : 13 familles et enfin La Ville avec 22 familles. Il n'y a aucun cabaret, contrairement à Saint-Paul où plusieurs semblent ouverts. Voici ce qu'ajoute le curé Favre sur la vie quotidienne : « il y a à Rognaix plusieurs hameaux et villages dans les monts, éloignés de la plaine .../... (où sont) des métairies où quelques personnes des trois quarts des familles environ restent depuis un peu avant La Toussaint jusqu’à la Saint Sébastien ou la Chandeleur, et depuis environ le 10 de may jusqu’à la Saint Barnabé, pour y faire consommer le fourrage des prés et champs qu’on y a, et gouverner le bétail, et que de ces particuliers il y en a depuis quinze jusqu’à vingt qui y demeurent en outre tout l’été, ce qui fait environ huit mois » .

Jean Martin est proche de ses deux oncles Hippolyte et Claude, avec des liens plus forts peut-être avec Hippolyte. En 1806, l'oncle Claude est dans l'armée napoléonienne, plus précisément il fait partie de l'armée d’Outre-Rhin. Cette armée se prépare pour la campagne de Prusse et de Pologne. A-t-il choisi son engagement ou a-t-il été désigné d'office, nous n'en savons rien. En tout cas, la vie de soldat semble bien difficile pour ce Rognairain. Le 16 juillet 1806, il écrit à son frère Martin pour lui demander un peu d'argent. En effet les soldats cantonnés à l'étranger ne perçoivent pas leur solde. Il précise «Je suis très mal habillé .../... nous sommes toujours nourris chez le paysan et l'on nous blanchit mais très mal et nourrit de même ». Dans son régiment, il a deux compatriotes savoyards, l'un d'Esserts-Blay : Varcin et l'autre d'un village dont on ignore le nom : Deschamp. Il signe sa lettre : « Je suis pour la vie votre frère, Colliard Claude, caporal » .

Revenons à Jean Martin, à quoi ressemble-t-il ? Je n'ai, bien sûr, pas de photo à vous présenter. Mais nous disposons d'un document précieux qui nous le décrit. Comme tous les jeunes de 20 ans, en 1807, Jean Martin se rend au conseil de révision à Moûtiers et là, il est déclaré inapte au service militaire « pour avoir une faible complexion » . Voici son certificat de dispense définitive. On y lit que Jean Martin mesure 1 m 66, qu'il a les cheveux roux, les sourcils châtains, les yeux gris roux, un front étroit, un nez régulier, une petite bouche, un menton rond et enfin un visage ovale. On note au passage que la famille est pauvre et donc il n'a à payer aucune indemnité en dédommagement de sa dispense. De quoi souffrait exactement Jean Martin ? Nous l'ignorons. Une « faible complexion » signifie, en général, quelqu'un de maladif, aux aptitudes physiques et la résistance limitées.

La conscription, c'est ce que l'on craint le plus pour les jeunes hommes. L'agriculture n'est pas mécanisée, on a besoin des bras de tous. Beaucoup de jeunes Tarins échappent néanmoins à cette conscription. Pour faire un bon soldat, il faut un solide gaillard. Or dans nos montagnes, les hommes sont petits, beaucoup ont souffert de rachitisme dans l'enfance ; le goitre et le crétinisme sont répandus. Pour celui qui est en pleine forme, reste la solution du mariage, encore faut-il avoir de quoi entretenir un ménage.

Mais la jeunesse est la jeunesse avec, comme toujours, sa part d'insouciance. Les deux cousins germains du Villard de Saint-Paul : Jean et Jean Antoine Tetaz sont amis avec Jean Martin et son frère Joseph. Nous le voyons à travers un des carnets de Jean Martin. Carnets où, tour à tour, chacun d'entre eux s'exerce à écrire. D'abord on y copie des chansons : chansons à la gloire des soldats, à la gloire de Napoléon, comme celle intitulée « A Vienne » ou bien chansons coquines. On y copie aussi des tournures de phrases, des modèles de correspondances qui pourraient être utiles. On s'exerce à bien tracer les lettres. On découvre l'art de la grammaire, bref, on essaie d'apprendre. 

Le 17 février 1811, la famille Colliard est en fête. Martine, la soeur de Jean Martin, se marie. Elle épouse Barthélémy Santiquet, du Parc d' En Haut à Saint-Paul. Jean Martin est témoin et l'on constate qu'à ce moment là, lui et son père Martin savent signer alors que Martine est dite « ne sachant écrire ni signer ». (Note : le couple n'aura pas d'enfant viable et, en 1863, Barthélémy Santiquet, devenu veuf, devra redonner aux Colliard la part d'héritage correspondant à la dot de son épouse).

Jean Martin est l'aîné des garçons, il sait que la tradition lui impose de fonder un foyer, ce qui n'est pas le cas des frères cadets. Nous l'avons vu pour le père, Martin, dont les deux frères restés au village sont vieux garçons et vivent sous le même toit que le reste de la famille. Ce mode d'organisation socio-économique est courant en Savoie, il s'appuie sur le principe de l'indivision. La communauté d'intérêts favorise la mise en commun des ressources et évite le morcellement du domaine familial.

En mai 1811, songeant sans doute à l'avenir, Jean Martin prend l'initiative de faire construire un grenier. Il signe une convention avec un maître maçon : Jean Gilonne de Saint-Paul. Ce dernier s'engage à achever le travail en 3 mois, soit pour le premier septembre. Si le délai est respecté, il recevra en sus du paiement (400 francs) un baril de vin ; dans le cas contraire, il devra faire un rabais de 60 F. La construction consiste en la réalisation d'une cave voûtée de 16 m2 surmontée du grenier en maçonnerie. Les murs seront plâtrés et blanchis. Un décor agrémentera la pièce : une petite corniche tout autour des murs et une grappe de raisin en gypse peint au centre du plafond.

A la même époque, on trouve, dans le carnet de Jean Martin, la copie d'une lettre, signée par son cousin Jean Tetaz, l'encourageant à se marier. Il y est dit : « tu verras qu'une bonne et vertueuse femme partage avec son mari tous les plaisirs et les chagrins qui peuvent lui survenir, elle accroît sa satisfaction en y ajoutant la sienne, elle allège ses peines par la part qu'elle y prend. La tendresse conjugale, quand elle est sincère, s'affaiblit rarement... » et plus loin : « une femme vertueuse est encore la meilleure amie qu'un homme puisse avoir... » et enfin : « Non, les célibataires ne peuvent trouver nulle part les secours et les consolations qui se rencontrent dans la société d'une femme. »

En réalité, ce texte n'est pas de Jean Tetaz, il s'agit d'une lettre type qui circule dans toute la vallée de Tarentaise et que l'on recopie à destination de ceux que l'on imagine vouloir rester vieux garçon, à moins que, de temps en temps, elle ne serve, au contraire, qu'à une blague envers un jeune homme un peu trop attiré par le moindre des minois qui passe à sa portée.

Toujours en 1811, un certificat de bonne conduite est délivré à Jean Martin (pour une raison que l'on ignore). Il est écrit qu' « il jouit de l'estime publique ainsi que de la réputation d'un honnête homme et il a toujours pratiqué les devoirs de la piété familiale » .

En 1812, la famille est en deuil, l'oncle Claude est mort. Est-ce au cours d'un combat ? Est-il toujours soldat ? Des recherches plus poussées restent à faire. La seule certitude, c'est qu'il ne décède pas à Rognaix. Les deux soeurs du défunt, déjà mariées, renoncent à leur part d'héritage de ses biens et droits fonciers, moyennant toutefois un dédommagement financier.

Jean Martin est maintenant un homme dans la fleur de l'âge. Sans doute est-il très attaché à son village et à sa famille, mais il espère une vie un peu plus prospère. Comme beaucoup, il décide de tenter sa chance à Paris. Hélas ses espoirs sont déçus. Le 18 avril 1813, il écrit à son oncle Hippolyte : «Depuis mon départ, le temps m'a bien duré » et plus loin, « vous saurez que je viens de faire une perte, le 7 janvier dernier, qui m'a fait bien de la peine parce que l'on nous a tout volé notre argent, on m'a volé dans ma chambre 52 napoléons » puis encore « vous saurez que je gagne passablement ma vie dans ce moment ». La fin de la lettre est touchante : «Je finis en vous embrassant du plus profond de mon coeur, père et mère de mérite et mon oncle et père de coeur, je suis avec honneur votre neveu pour la vie ».

Là non plus, nous ne savons pas combien de temps dure l'aventure parisienne de Jean Martin, ni s'il en revient avec la fortune espérée. On le retrouve à Rognaix en 1815, au mariage, le 7 février, de sa soeur, Josephte, avec un dénommé Joseph Taro, natif de la province d'Ivrée, en Piémont. Pour l'heure Taro habite Saint-Paul, c'est là que le couple s'installera.

Jean Martin a maintenant 28 ans, il est temps pour lui de se marier. Le 9 mai 1815, il épouse une Rognairaine qu'il connaît depuis toujours : Marie Louise Collombier. Elle a 21 ans. En Tarentaise comme en Maurienne, on se marie beaucoup en mai alors qu'ailleurs, en Savoie, on considère le mois de Marie incompatible avec le mariage. Par ailleurs, dans certaines paroisses tarines, le mariage ne doit pas être consommé durant la nuit de noces, ni d'ailleurs la nuit suivante. Était-ce le cas à Rognaix ? Le jour de la cérémonie, la mariée porte la robe noire, habituelle des dimanches ou jours de fête. Sa tenue se distingue par une couronne de fleurs à rubans et un autre ruban large autour de la taille.

La fête passée, le souci du quotidien s'impose à nouveau. Le jeune couple est pauvre. Comment améliorer l'ordinaire ? Deux mois après son mariage, le 24 juillet 1815, Jean Martin est nommé garde forestier sur proposition du conseil de Rognaix et par ordonnance de l'intendant de Tarentaise. L'administration forestière n'est plus soumise à la loi française, en effet 1815 est l'année de la Restauration sarde. La livre redevient la monnaie savoyarde. Mais le régime sarde a les mêmes préoccupations que les Français : la forêt a un rôle économique important. Elle est utile non seulement aux communautés rurales dans leur vie quotidienne mais, surtout, elle est indispensable à l'industrie. Or, elle a toujours été surexploitée. Jusqu'à l'arrivée des Français en 1792, les salines royales de Conflans étaient grosses consommatrices de bois. Désormais, il faut alimenter la fonderie royale de Conflans. Mais les industriels privés, propriétaires de hauts fourneaux, de forges et autres ateliers, sont eux aussi gros consommateurs. Ils sont en concurrence avec les industries royales. Les villageois sont tentés d'exploiter plus ou moins légalement une source de revenus à leur portée. Les gardes forestiers doivent donc surveiller et encadrer de près tout ce qui se passe dans la forêt. Il faut des gens qui connaissent parfaitement leur territoire mais qui soient également suffisamment intelligents et instruits pour rédiger des procès-verbaux, compléter des rapports et autres tâches administratives, certes moins lourdes qu'aujourd'hui mais néanmoins indispensables. Jean Martin a, semble-t-il, toutes les qualités requises. Il exercera ses nouvelles fonctions, en plus de son travail depaysan.

En 1816, Marie Louise est enceinte de son premier enfant. Elle accouche d'un fils : Charles Martin le 4 novembre. Hélas, l'enfant décède 2 semaines plus tard. Le couple éprouve sans doute de la tristesse face à cet évènement, mais c'est chose courante à l'époque et, l'on sait bien qu'une autre grossesse ne tardera pas.

C'est aussi en 1816 que le système décimal est appliqué à la monnaie. Les Rognairains, comme les autres Savoyards, avaient apprécié ce système imposé par les Français et ils étaient fort mécontents du retour à l'ancienne pratique.

En 1817, Jean Martin achète du terrain à Bayet. La même année, un document, concernant la délivrance du bois d'affouage, nous montre que vivent sous le même toit : les parents, Martin et Étiennette, Hippolyte l'oncle, le jeune couple Jean Martin et Marie Louise, et Suzanne la soeur de Jean Martin. Concernant son frère Joseph, il semble qu'un passeport lui ait été délivré fin juillet 1817 pour qu'il se rende à Paris. C'est, sans doute, poussé par la nécessité que Joseph a pris cette décision. 1817 est, en effet, une année difficile où la famine reparaît en Savoie. Pour les usages domestiques de toute cette famille durant un an, on lui attribue 3 sapins, 3 fayards ainsi que du petit-bois à prendre sur une parcelle de « broussailles et coudriers ».

Le 2 mai 1818, Marie Louise met au monde un petit garçon : Alexis. Cette fois tout se passe bien. Cette bouche supplémentaire à nourrir va, en fait, remplacer Suzanne, la soeur, qui se marie un mois et demi plus tard avec un Saint-Paulain : Joseph Marie Sylvoz. Mais là, constat surprenant, le marié a tout juste 15 ans. Il est orphelin de père et son beau-père Martin devient son tuteur légal. Les jeunes gens auraient-ils, comme on dit, « mis la charrue avant les boeufs » ? Une grossesse est-elle en cours ? Pourtant les registres n'indiquent une première naissance qu'en 1820. Le couple Sylvoz s'installe à Saint-Paul, dans la famille du jeune homme.

Jean Martin économise sou à sou et, dès qu'il le peut, il achète un petit bout de terrain, comme en 1819 à La Chiardaz, puis des treilles au mas de La Contamine.

En 1820, Rognaix est toujours une commune pauvre. Il n'y a pas encore de maison commune. Le conseil se réunit chez le syndic, François Ducrey. Dans leur vie quotidienne, les Rognairains essaient de s'attirer les bonnes grâces du ciel. Le curé bénit une fois par an soit les maisons situées dans la plaine, soit celles situées dans la montagne qui ne sont habitées qu'une partie de l'année. Après la bénédiction de chaque maison, il bénit ensuite les troupeaux qui sont dans l'étable voisine. La famille dont la maison est bénie doit lui offrir un fromage de sa fabrication. Il va aussi, une fois par an, bénir la montagne de Basmont.

Le 5 février 1821, Marie Louise accouche à nouveau d'un garçon : Joseph Martin. Alexis a bientôt 3 ans, il est heureux de la venue de ce petit frère. Hélas ce doux bonheur familial tourne au drame : les deux petits décèdent, à 3 jours d'intervalle, à la mi-mars. Ils sont probablement victimes d'une épidémie infantile. Le même mois, 8 enfants de Rognaix meurent. Tous sont enterrés au cimetière du village, dans le quartier des enfants. Marie Louise fait sans doute partie de la confrérie du Rosaire. Elle a bien besoin du soutien moral des consoeurs. Les neuvaines, messes et prières aident les croyants à surmonter l'épreuve.

La vie continue, Jean Martin achète, le mois suivant, une treille aux Teppes. Son père, Martin, a toute confiance en lui. En juillet 1821, il le « constitue pour son procureur spécial » c'est-à-dire qu'il lui donne procuration pour le représenter notamment dans un conflit juridique. A l'époque, ces conflits sont fréquents, les villageois sont très procéduriers.

Le 2 avril 1823, Marie Louise donne naissance à sa première fille : Julie.

Fin 1823, les veilles de Noël, plus exactement le 20 décembre, la famille Colliard subit une épreuve qui, cette fois, touche à son honneur. Joseph, le frère de Jean Martin, en est la cause bien qu'il ne soit pas à Rognaix mais à Paris. C'est une lettre de Jean Baptiste Gonessat, lui aussi émigré à Paris, qui annonce la mauvaise nouvelle. « Il est pénible pour moi de vous apprendre une aussi triste nouvelle mais l'honnêteté m'y engage, votre fils Joseph Marie a fait un vol domestique chez son maître. Le vol est de deux mille trois cents francs. Il a été au jeu, il a perdu le montant ci-dessus porté, il est maintenant entre les mains de la justice et le seul moyen de le retirer c'est de rembourser les fonds afin que le maître retire sa plainte d'entre les mains du procureur du roi. Sans cela il sera exposé, marqué, et aux galères. L'honneur est perdu si vous n'apportez là un prompt secours. » Gonnessat précise que, de surcroît, Joseph lui doit de l'argent ainsi qu'à d'autres « pays » (c'est à dire Rognairains à Paris). Au total, le vol, plus les dettes s'élèveraient à environ 3000 F, ce qui est considérable. Il presse le père, Martin, de venir porter secours à son fils. Après réflexion, la famille Colliard décide de demander l'aide du cousin Jean Tétaz de Saint-Paul. C'est le neveu d' Étiennette et il est, lui aussi, à Paris. L'angoisse et l'attente sont sans doute terribles car l'annonce d'un départ aux galères c'est quasiment une mort annoncée. D'autant qu'un Savoyard à Paris, c'est un étranger, et il est à craindre que la justice française ne soit impitoyable. En définitive, 8 mois plus tard, Jean Tetaz écrit : « Mon cher oncle, et chère tante. C'est avec bien du plaisir que j'ai à vous annoncer que votre nom est sans tache. Joseph est libéré du plus grand de ses maux. Consolez-vous, Dieu m'a fait la grâce que je lui ai demandée pour vous et pour lui. Il ne lui reste plus qu'une petite détention, où j'espère si Dieu me conserve la vie, de vous le rendre digne de la société et de citoyen où personne n'aura droit d'insultes à votre égard et au sien. » Il précise « il y a bien peu des gens de nos pays qui ne croyaient pas que je puisse le sauver ». Le même jour, les Colliard reçoivent une lettre de Joseph, toujours emprisonné à Bicêtre et probablement pour une année encore. Il leur demande pardon et promet d'être désormais un fils exemplaire. Il termine sa lettre ainsi : Cher père, chère mère, (je suis) un fils indigne de vous, le plus soumis et respectueux des fils, j'arrose vos pieds de mes larmes en attendant votre pardon, j'embrasse mon frère et mes soeurs du plus profond de mon coeur et me recommande à vos prières. Votre fils et frère. Apparemment, Joseph ne rentrera jamais à Rognaix, si ce n'est pour de courts séjours. Il passera le reste de sa vie à Paris sans jamais y faire fortune. Dans sa vieillesse, il devra même faire appel à la générosité d'un de ses neveux pour simplement survivre.

Après cet épisode désolant, il faut attendre le 10 octobre 1825 pour que, enfin, un événement heureux survienne : la naissance d'un enfant (qui atteindra l'âge adulte). C'est une fille : Marie Rosalie. Marie Louise et Jean Martin sont mariés depuis 10 ans, ils ont déjà perdu 3 fils. Pas facile d'aller annoncer la bonne nouvelle à la famille du Villard de Saint-Paul : le pont en bois sur le Bayet est en piteux état. Rognaix et Saint-Paul finissent par tomber d'accord pour le reconstruire, Saint-Paul assurera les trois-quarts des frais, et Rognaix le reste ; de plus les Rognairains fourniront le bois nécessaire.

L'année suivante, Jean Martin accentue sa politique d'accroissement de son patrimoine. Il rachète tous les biens de son oncle Hippolyte ainsi que ceux, situés à Rognaix, appartenant à un autre de ses oncles : Pierre, qui, lui, a fondé une famille à Pussy. Hélas en décembre 1826, Jean Martin perd cet oncle Hippolyte âgé de 50 ans. L'épreuve est rude car il y était très attaché.

Jean Martin travaille beaucoup. Voici la liste de ce qu'il sait faire et qu'il monnaye auprès des autres villageois qui font appel à lui en commençant par tout ce qui est travail du bois : couper, transporter, équarrir ce bois, faire des planches, de la charpente, faire de la menuiserie : cadres de porte, portes, planchers, escaliers, etc. faire des meubles : gardes robes, tables, lits... faire des maisons pour les mouches à miel. faire des objets : des galoches, des socons, des cornues, un barillon de châtaignier, le fond d'une cuve... Il sait aussi travailler et installer les bourneaux, indispensables à la desserte en eau. Il sait aider à construire un bâtiment : On l'a vu, il a des compétences en charpente, mais aussi dans le « couvert à paille » (couverture en chaume), dans la maçonnerie.

Il travaille la terre : faire le labour, semer l'avoine, le blé noir, le seigle, battre les céréales, faire le foin, le fumier, faire des voyages de terre. Il aide aussi les propriétaires de moulin à en entretenir le mécanisme. Avec « sa bourrique », il travaille à la journée chez qui a besoin de ses services. Il s'occupe des animaux. Les lieux cités pour son travail sont essentiellement : la plaine, la Tetaz, Pravis.

Parfois, il va travailler chez quelques Saint-Paulains.

En 1827, il continue d'acquérir des biens. ; car comme dit le curé de l'époque : « toutes les idées des Rognairains sont tournées du côté de la terre ! » . Il achète 3 parcelles en plaine et deux en montagne appartenant à un certain François Collombier, natif de Rognaix mais domicilié à Notre Dame des Millières. C'est une mauvaise affaire qui débouchera sur un procès. En réalité, François Collombier n'est pas l'unique propriétaire, et ses frères vont revendiquer leurs droits. A l'issue du procès qui durera plusieurs années, Jean Martin ne conservera que moitié des parcelles de plaine, les parcelles de montagne reviendront aux frères Collombier.

1827, c'est aussi l'année où une petite école ouvre à La Rochette. Antoine Roux fait un don de 400 livres et lègue également la maison qu'il habite pour en faire le local de l'école. Cette dernière fonctionnera jusqu'en 1865.

La naissance d'un fils, le 17 janvier 1828, est une joie pour les Colliard. Joie de courte durée : le petit Joseph Marie décède 11 jours plus tard. Mais la même année, le 21 décembre, arrive un nouvel enfant. Cette fois, c'est une fille : Marie Virginie, et elle vivra... (Elle aura 10 enfants) .

Les banques, telles qu'on les connaît aujourd'hui, n'existent pas encore. Alors, si un besoin important d'argent se fait sentir, on emprunte à d'autres particuliers. En 1825, Jean Martin emprunte 400 livres neuves en pièces d'or au curé Revet, de Rognaix, et 400 livres neuves en pièces d'or et d'argent à Martine, épouse de Louis Colliard. Son père, Martin, se porte caution.

En 1830, Jean Martin demande l'autorisation de couper 15 sapins pour achever la construction d'une grange (je n'ai pas trouvé où) . Martin Collombier, son beau-père (et peut-être parrain), demande l'autorisation d'établir un four à chaux à la montagne de Basmont (l'emplacement existe depuis déjà plus de 30 ans). « C'est aux fins de faire cuire une quantité de pierres dont le produit est destiné aux réparations de son bâtiment de maison ».

Cette année là, ce Martin Collombier est le syndic de Rognaix. Avec le conseil, il prend la décision de couper 30 sapins dans la forêt communale « dont l'administration a un besoin urgent pour faire réparer, avant l'arrivée de l'hiver, les canaux et aqueducs des bourneaux des villages de La Ville, des Teppes et de deux hameaux principaux situés en colline, lesquels se trouvent entièrement dépourvus d'eau et qu'il importe d'abreuver, pour prévenir de plus grandes dégradations dans les canaux qui peuvent encore servir... » .

1831 : Marie Louise est de nouveau enceinte. Elle accouche, le 18 octobre, d'un fils, Joseph Marie. Il est le premier garçon qui va vivre et qui, en tant qu’aîné, succédera à son père.

Quelques jours plus tard, le 27 octobre 1831, a lieu un événement important dans la vie d'un homme de l'époque : son émancipation. Eh oui, bien qu’âgé de 44 ans, Jean Martin le fils est toujours sous la tutelle de Martin, le père ! C'est la loi en vigueur. Ils se sont rendus à Conflans, chez le notaire, vêtus de leurs plus beaux habits.

Je vous donne lecture d'une partie de cet acte d'émancipation : «Le sieur Colliard Martin fils majeur de défunt Eusèbe, propriétaire, natif et habitant de la commune de Rognaix lequel nous a représenté qu'il a été humblement supplié par le sieur Jean Martin Colliard, son fils aîné, âgé de quarante ans aussi natif et habitant de la dite commune de Rognaix, ici présent de bien vouloir l'émanciper et mettre hors des liens de la puissance paternelle et que connaissant son aptitude à gérer et administrer les affaires, il veut bien y consentir, persuadé qu'il n'abusera pas de cette faveur, et ils nous ont en conséquence, l'un et l'autre, supplié de les admettre aux incombances en pareil cas requises ; à quoi adhérant nous avons fait placer le sieur Colliard père assis sur un fauteuil à nos côtés, couvert de son chapeau, et avons fait mettre son fils à ses genoux, la tête nue et les mains jointes, lesquelles le père a pris entre les siennes et les a ouvertes, et fermées, trois fois, en lui disant chaque fois en signe de vrai et réelle émancipation « Mon fils, je t'émancipe et te mets hors des liens de ma puissance paternelle, je te donne et abandonne tous les profits et acquis que tu feras à l'avenir, ainsi que ceux que tu as faits par le passé, iceux arrivant à la somme de 3000 livres neuves ; et c'est tant en propriété qu'en usufruit, sans aucune réserve ni exception quelconque, et en quoi que le tout consiste et puisse consister, je te donne en outre le pouvoir d'acheter, vendre, aliéner, emprunter, prêter, hypothéquer et passer tous actes et contrats, comme un chef de famille, libre des biens, droits et personnes, à la charge par toi néanmoins de continuer à me porter l'honneur et le respect que tu me dois, et de me soulager dans ma vieillesse et mes besoins » .

En 1833, Jean Martin, qui a 46 ans, doit cesser son activité de garde forestier. Il est atteint d'une surdité sévère qui l’handicape sérieusement et le contraint à démissionner de son poste.

Le 20 mars 1834, son épouse Marie Louise donne naissance à une fille. Elle meurt dans les instants suivants mais a eu le temps d'être baptisée. Cependant on ne lui attribue pas de prénom.

Un an plus tard, le 6 avril 1835, Marie Louise accouche d'un garçon, Marie Gabriel, qui plus tard deviendra menuisier.

Le 1er janvier 1836, Conflans et l'Hôpital fusionnent pour devenir Albertville.

En décembre 1837, la mère de Jean Martin, Étiennette, décède. Elle est âgée de 83 ans, c'est, pour l'époque, un très grand âge. Le père, Martin, plus jeune de 8 ans, est très affecté par ce décès. Il se laisse aller. La naissance prochaine d'un nouveau petit-enfant ne suffit plus à le motiver.

Le 19 mars 1838, Jean Martin envoie chercher Maître Mugnier, notaire à Cevins, car son père veut rédiger son testament. Dans ce testament on lit que Martin « quoique malade de corps et dans un âge avancé, jouit néanmoins de la plénitude de ses facultés intellectives, mémoire, jugement et entendement ». Il institue Jean Martin, son fils aîné, « avec lui habitant » son héritier universel. Les autres enfants ont chacun une petite part d'héritage, y compris le fameux fils cadet Joseph qui est dit « dès longtemps absent du pays » .

Trois semaines plus tard, une dernière joie est donnée à Martin, la naissance d'une jolie petite fille : Marie Césarie. Elle est le dernier enfant qu'auront Jean Martin et Marie Louise.

Dix jours après, le 14 avril 1838, Martin entre en agonie. Il est entouré de sa famille, le prêtre lui administre les derniers sacrements. Il rend l'âme à 8 h du soir. Il a 76 ans.

Désormais, c'est lui, Jean Martin, le patriarche de la famille Colliard. Il gère ses affaires en homme avisé : vendant, échangeant, empruntant puis remboursant... On voit qu'en 1839, il verse de l'argent à sa soeur Suzanne en règlement de la succession de leur père. Le mari de cette dernière est dit « absent des états de Savoie ». L'émigration, même saisonnière, est souvent la seule issue pour les plus pauvres.

L'année suivante, son autre soeur, Josephte Marie Taroz lui intente un procès. Toujours suite au décès du père, elle réclame une augmentation de dot. Les Taroz sont dits « propriétaires et aubergistes à Saint-Paul ». Finalement le frère et la soeur trouvent un terrain d'entente.

Jean Martin doit régler quelques dettes contractées par son père, mais il doit, aussi, poursuivre les héritiers d'Hippolyte Bozon Dorier qui lui devaient une somme rondelette et qui refusent de s'en acquitter.

En 1840, Saint-Paulains et Rognairains sont fiers. Pour la première fois, une vue de la cascade de Bayet apparaît dans un livre. C'est le « Dictionnaire du Duché de Savoie ». Il y a aussi des vues du château de Blay, du château de Feissons, de la cascade de Glaize et, enfin, du pont de Notre Dame de Briançon.

En 1843, sa femme Marie Louise hérite de ses parents la somme de 1150 livres et, surtout, un champ, lieudit le Chandelier, au hameau de la Tetaz.

Cette même année 1843, Rognaix entre dans la modernité. Le conseil choisit les plans de l'architecte Mattola pour construire la première mairie-école du village. Les travaux sont adjugés à l'entrepreneur Antoine Marquetti. Combien y a-t-il d'élèves pour fréquenter l'école du chef-lieu ? Mystère... Par contre à La Rochette, il y a 7 à 8 élèves (des 2 sexes est-il précisé).

Jean Martin est maintenant âgé de 57 ans. L'âge venant, il devient irascible. En 1844, alors qu'il a donné son accord pour l'exploitation d'une charbonnière sur une parcelle qu'il possède en indivision avec sa soeur Josephte, il subtilise 16 sacs de charbon entreposés momentanément chez Bernard Péronnier. Les charbonniers Jean François Ruffier et Jean Denis Allemoz sont de Feissons. Leur tâche n'est pas aisée. Une fois qu’il est fabriqué, le charbon est mis en sac sur place, en montagne, puis acheminé au bas du village en traîneau. Ils ont beau essayer de ramener Jean Martin à la raison, peine perdue. Ils l'assignent alors au tribunal qui le condamne à restituer la marchandise ou à en payer la valeur. Dans le même temps, Jean Martin embauche un charbonnier piémontais pour transformer du bois qu'il a acheté dans la forêt de Néron. Il le paie 85 centimes la charge de charbon sous déduction de sa nourriture : farine, fromage et tabac. Le charbon est ensuite vendu aux industriels qui en ont besoin.

L'humeur de Jean Martin est d'autant plus mauvaise que sa fille aînée Julie, âgée de 21 ans, est enceinte, on ignore qui est le père. Elle accouche le 7 novembre 1844 d'une petite fille : Alexine.

Voilà une bouche de plus à nourrir, néanmoins la famille Colliard assume et Julie reste avec son enfant au domicile de ses parents. Ce n'est que sur le tard, à la quarantaine, qu'elle se mariera avec un dénommé Jean Mercier, ils auront ensemble une autre fille de 18 ans la cadette d'Alexine.

Le 11 septembre 1845, un édit royal décide qu'à compter du premier janvier 1850, seuls les poids et mesures du système métrique décimal seront autorisés. Le mètre, l'are, le stère, le litre, le gramme remplaceront pied, toise, journal, bichet, pot, charge et autres mesures jusque-là traditionnelles. 

Mais ces bouleversements, Jean Martin ne les verra pas. Il meurt le 3 février 1849, chez lui, après avoir reçu l'extrême-onction. Il est 5 h du matin. Il a 62 ans. La plus jeune de ses filles n'a que 11 ans. Sa veuve, Marie Louise, lui survivra durant 15 ans. Elle aura l'immense chagrin de perdre cette fille cadette, Marie Césarie, à l'âge de 21 ans dans des conditions tragiques. L'acte de décès mentionne : « emportée par un torrent, d'un éboulement de terre ». On ne retrouvera pas son corps, ni celui de Jean Joseph Colliard, sacristain âgé de 40 ans, qui cheminait avec elle. C'est au lieu-dit « Grand Creux » que se déroule la catastrophe.

Sur les onze enfants du couple, 5 seulement auront une existence « normale ». A eux 5, ils auront quand même 30 enfants... (au moins d'après ce que j'ai retrouvé) .

Celui qui succédera directement à son père sera Joseph Marie. En 1860 il épousera Anastasie Denche, de Saint-Paul, de laquelle il aura 9 enfants.

L'autre garçon, Marie Gabriel, sera menuisier. Il se mariera avec une Rognairaine, Marie Cécile Collombier, avec qui il aura 6 enfants.

 

Saint-Paul, en 2009 Evelyne BLANC

Merci à Evelyne BLANC de Saint Paul sur isère, Conférencière, pour cet article riche d'informations, tant sur les traditions de l'époque, des coutumes, des lieux et noms cités

Le visage de Claudius

003_Claudius Poux.jpgC'ETAIT une aube d'été 44 où la nuit semblait enfin vouloir finir pour donner aux couleurs du matin l'espoir d'un autre temps. Pourtant, la haine suait encore dans les silences coupables et les mots complices. Partout, la botte guettait les ombres, rodait dans les campagnes enflées du secret de ceux qui n'avaient jamais plié. Et puis, il y eut des coups à la porte, des cris, des crachats sur le visage de Claudius arraché à la douceur du jour du petit village de Rognaix en Savoie. Ils l'ont poussé sous les crosses jusqu'à l'hôtel Genet, battu à coups de barres pour que la souffrance livre des noms. Il n'a rien dit parce qu'il n'attendait rien. Rien d'autre que d'avoir la force de marcher sur le chemin des supplices ou des tortures de la nuit. Marcher comme le père le lui avait appris. «Ne plie pas petit, la haine des bourreaux n'est rien face au silence d'un visage qui sourit, marche, petit, n'aie pas peur, nous t'attendrons à l'autre bout du jour.» «Je marcherai, père, je ne dirai rien, mais le jour est trop beau pour mourir.» La nuit tomba dès l'aube. Fallait-il qu'ils aient peur pour mutiler ainsi le visage de Claudius. Plus ils fracassaient, plus ils défiguraient, plus le visage s'éclaircissait. Il savait maintenant qu'il ne dirait rien, rien que des cris arrachés à l'horreur des coups. Ligoté à l'affût d'un canon, son visage tuméfié d'un sang d'encre regardait la montagne. Par moments, dans le répit des violences, revenaient des ombres de visages amis, le feu des embuscades sur les sentiers du maquis, les serments jurés dans la clandestinité de la nuit: «Nous marcherons contre la haine, nous refuserons la barbarie. Amis, ne songeons qu'au bonheur. Plus jamais l'humiliation. A l'orée du futur, nous bâtirons un monde taillé à l'ambition de nos rêves. Une France libre, façonnée par nos mains.» Et toujours les coups. Et les lames enfoncées dans les hanches, les hurlements, la tête frappée sur l'acier. Le visage était blanc, la lumière pâlissait. Dans les yeux vides du jeune FTP disparaissaient doucement les couleurs du pays. Une lente descente vers la mort, sans un mot, dans l'humiliation et l'atrocité au bord d'une tombe qu'ils l'obligèrent à creuser de ses mains. Le crépitement de la mitraillette. Le silence enfin. On a retrouvé son corps deux jours plus tard, à demi enterré dans les sillons fraîchement remués d'un champ de maïs. Il s'appelait Claudius Poux. Il avait vingt-trois ans. C'était une aube d'été. A quelques pas de la Libération.

MICHEL ETIEVENT.

Source: L'Humanité  le 30 Août 1994    http://www.humanite.fr/node/220700

 

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A 12 ans en haut au milieu

21/12/2012

Claudius POUX

Le Missionnaire


·         Date de naissance : 16/01/1859

·         Commune: Rognaix

·         Diocèse : Tarentaise

·         Département : Savoie

·         Ordination : 22/09/1883

·         Départ : 7/11/1883

·         Mission : Kouy-tcheou

·         État : Chine

·         Décès : 01/03/1922

 

  Numéro : 1566

[ 1566 ] POUX Louis-Marie

Missionnaire

Kouy-tcheou - Kweiyang

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Louis-Marie POUX naquit le 16 janvier 1859, à Rognaix, arrondissement d'Albertville, diocèse de Chambéry-Maurienne-Tarentaise (Moûtiers), département de la Savoie. Son père était meunier. Il fit ses études secondaires au petit séminaire de Moûtiers.

Le 16 septembre 1880, après avoir fait une retraite chez les PP. Trappistes pour étudier sa vocation, il entra ,laïque, au séminaire des Missions Etrangères. Tonsuré le 24 septembre 1881, minoré le 4 mars 1882, sous-diacre le 28 septembre 1882, diacre le 17 février 1883, ordonné prêtre le 2 septembre 1883, il reçut sa destination pour le vicariat apostolique du Kouy-tcheou (Kweiyang), qu'il partit rejoindre le 7 novembre 1883.

Le 15 mars 1884 M. Poux arriva à Kweiyang. Il fut envoyé comme vicaire à Gan-chouen , à l'ouest de Kweiyang, chez M. Eugène Lamy, qui était à la tête de ce district depuis 1867. En 1892, M.Poux travaillait à Tin-fan, pays des oranges, chaude région embaumée par le parfum des fleurs, au sud de Kweiyang. Son district était vaste. A l'est et à cinq ou six lieues de Tin-Fan, on arrivait au grand marché de Pay-kin aux environs duquel on comptait une douzaine de stations, dont celle de Kao-chan la plus fervente. Là, il lutta contre les méfaits de l'opium dans cette région. Au sud-est et à six ou sept lieues de Tin-Fan, il y avait trois stations aborigènes. En 1892, sur le marché de Tong-tcheou, il éleva un oratoire avec l'aide de ses chrétiens.

En 1893, M. Poux fut mis à la tête du district de Tou-chan, jadis ouvert à l'évangélisation par M.Félix Gréa, dans la partie sud-est de la mission. Il construisit à Tou-chan une belle église et un oratoire plus modeste à Kien-si. Il s'interessa au groupe ethnique des Chouy-kia" (Tchong-kia) avec ses diverses ramifications. En juillet 1896, il remit son district entre les mains de M. Pierre Cavalerie, son successeur.

En 1899, M. Poux travaillait à la formation des clercs au grand séminaire de la mission. Cette année-là, cinq élèves furent ordonnés sous-diacres, deux reçurent les ordres mineurs. Il fonda une bourse pour un élève du grand séminaire. Bien que d'un tempérament un peu inquiet et porté vers un certain pessimisme, ne voyant qu'un ciel sans étoiles, il aimait l'étude et la lecture. Il fut souvent fait appel à lui pour animer de nombreuses retraites pour les séminaristes et les prêtres.

Après un certain temps passé à la tête du district de Tou-youn, il était, en 1907, chargé du district de Tsin-gay, au sud de Kweiyang. Là, il forma à la vie apostolique M.Denis Doutreligne, nouveau missionnaire. En juin 1909, il se rendit à Tin-fan, pour accompagner M.Preynat à ses derniers moments. Puis, rappelé à Kweiyang, il fut pendant quelques temps curé de la paroisse de Lan-tang. Finalement, il occupa la cure de Tsin-tchen, à l'ouest et assez proche de Kweiyang.

Souffrant de maux d'estomac fréquents, il quitta son district de Tsin-tchen, et vint se soigner à l'évêché de Kweiyang. C'est là qu'il s'éteignit doucement, au matin du 1 mars 1922. Il repose à Ta-in-po, à côté de son ami M. Chanticlair, décédé un an auparavant.


[1566] POUX Louis, Marie.


Références biographiques

AME 1922 p. 119. CR 1883 p. 115. 1892 p. 126. 334. 335. 1893 p. 143. 1896 p. 137. 1899 p. 148. 1902 p. 130. 1909 p. 382. 1922 p. 67. 222. BME 1922 p. 173. 1929 p. 683. EC1 n° 12.
Mémorial POUX Louis-Marie page 2

 

 

 

 

SOURCE Missions Etrangères de Paris   http://archives.mepasie.org/